TRIBUNE – Quand on s’extrait du tumulte, des argumentaires et des anathèmes des uns et des autres, et , de manière générale, des bruits de la campagne électorale, que l’on réfléchit sur le mode de fonctionnement de nos sociétés, on pense inévitablement aux intérêts qui doivent être défendus, et au jeu « personnel » des individus. Jeu qui souvent est lié à la personnalité.
L’exemple de la gestion d’un immeuble vient alors à l’esprit. Il ne viendrait pas à l’idée des propriétaires d’appartements d’inviter les locataires à prendre part aux assemblées générales (des copropriétaires). De crainte que les locataires ne votent des travaux qui amélioreraient leur cadre de vie, mais que les propriétaires devraient payer.
Comme on le sait, il en est allé selon cette logique à la Révolution française. Les détenteurs des fortunes du moment enlevèrent le pouvoir de décision au roi et aux nobles (propriétaires fonciers appauvris qui les taxaient pour continuer à bien vivre sur leur dos) pour se l’attribuer au sein d’une assemblée. A laquelle la populace (avec la précaution du suffrage censitaire) n’eut pas accès.
C’est que, en réalité, le suffrage universel n’est tolérable (1) – pour les détenteurs du pouvoir financier et économique -, que lorsque les « représentants » populaires – quand il y en a – sont, dans les faits, au service de ceux qui ont de l’argent (peu importe comment ils se le sont procuré) à sauvegarder et à faire prospérer. Et il y a des techniques pour cela. Qui consistent – outre le mode de scrutin, le découpage électoral, le bourrage des urnes-, à « formater » le cerveau des électeurs (2). Et à donner un coup de main (argent et propagande) aux candidats qui se présenteront comme volontaires pour être serviles en contrepartie des avantages divers attachés directement ou indirectement au poste.
Les êtres humains sont ainsi faits, qu’il y a toujours des amateurs. Et que se constitue une sorte de corporation de personnes qui vivent en réalité « de » la politique : collaborateurs d’élus, qui deviennent des élus, qui essaient de devenir ministre ou… mieux, qui peuvent en profiter pour sauter sur diverses autres opportunités – les pantoufleurs et les rétro pantoufleurs -. Et qui font en sorte de durer : certains ont gagné leur vie dans et par la « politique » pendant 40 ans (voir les CV sur internet). On se rappelle le « décret des deux-tiers » (3). On se rappelle, dans le sens inverse, la tentative de de Gaulle, avec le texte de 1958 (4), de contrarier « le régime des partis » dans lequel les députés votaient des textes ou les rejetaient, non pas en pensant à la France ou aux Français, mais en ayant à l’esprit leur réélection ou l’obtention d’un poste de ministre.
« Régime des partis » qui a repris progressivement force et vigueur, de manière caricaturale comme on l’observe actuellement. A ceci près que c’est désormais le président de la République qui joue le rôle de maître de ballet ….
Macron, après avoir encaissé une sorte de désaveu personnel lors des élections européennes, et au lieu d’en tirer les conséquences en se retirant, a probablement compris qu’il pourrait conserver son poste, en détournant les regards de sa personne. D’où l’astucieux coup de dissolution de l’Assemblée nationale. Car…. Soit les élections dégagent une majorité et (si ce ne sont pas ses gens qui l’emportent comme ce qui ne pouvait être que probable) E. Macron reste dans le cadre d’une « cohabitation ». Et, « avantage » conjoncturel de la cohabitation : c’est le Premier Ministre auquel les conséquences de la même politique (celle imposée par les traités) pourront être imputées. Soit si le résultat final conduit à un émiettement des groupes parlementaires, un gouvernement de bric et de broc sera constitué. Avec un Premier Ministre qui fera voter ce qu’il pourra avec des majorités au cas par cas, ou en exploitant diverses dispositions constitutionnelles (art 49 al 3 ; – art 38- pour éviter la discussion et le vote, …). Sans compter l’article 16 auquel certains osent déjà penser, et dont les dispositions permettent techniquement à celui occupant les fonctions de président de la République de décider tout seul, de tout, sur tout. Et dont diverses manifestations de protestations pourraient demain servir de prétexte à son utilisation.
L’idée d’un gouvernement de bric et de broc ne fera, sous un certain rapport, que continuer l’existant. Beaucoup de ceux qui sont devenus ministres ces 7 dernières années sont en effet des personnages qui ont préalablement commencé à « faire de la politique » soit au PS, soit à l’UMP. Partis qui présentent deux particularités : Organisations en voie de disparition (comme la campagne législative actuelle, les argumentaires des leaders, leurs tactiques de survie personnelle, et les résultats sortis des urnes le montrent). Organisations dont les têtes pensantes sont d’accord depuis longtemps pour priver le peuple de sa « souveraineté » via divers traités et leur maillage : – Maastricht à l’initiative de Mitterrand – PS- ; – « constitution européenne » à l’initiative (ratée) de Chirac – RPR-, – Lisbonne – à l’initiative (réussie) de Sarkory – UMP- (et quelques autres traités allant dans la même logique) avec l’aimable concours (ou l’active complicité) de la classe politique. C’est-à-dire pour les ci-devant citoyens, la privation du droit et de la possibilité de décider de la manière dont chaque individu sera traité : comme citoyen ou comme objet. ? Et de la manière dont il pourra vivre… De la GPA à l’euthanasie.
Avec les traités, les habitudes, les réseaux et les liens de dépendance, les décisions de demain seront nécessairement les mêmes que celles d’hier
Question au lendemain des élections (après les triangulaires, les désistements … par échange de bons procédés çà et là comme on sait faire…) : Qui, pour prendre ces décisions, aura le plaisir d’avoir un poste ? (5)
Marcel-M. MONIN
Maitre de conférence honoraire des universités
(1) l’élection comme mode de désignation des gouvernants est associée à la notion de démocratie. Selon les principes acceptés, l’élection donne une légitimité à ceux qui doivent leur poste à ce mode de désignation. Et donne une légitimité aux décisions qui sont prises par l’élu. Cers principes peuvent, comme on le sait, être aisément vidés de leur sens. Quand l’élection est truquée d’une manière ou d’une autre (bourrage des urnes, mode de scrutin favorisant les uns, manipulation des esprits, …). Quand les gens en poste prennent des décisions qui portent atteinte à la liberté, à l’intégrité physique des individus, ou qui vont à l’encontre de l’intérêt général ou qui préjudicient aux intérêts du pays, …
(2) De Tocqueville ne s’y était pas trompé en 1848. Qui disait en substance : « donnez-leur (aux pauvres) le droit de vote ; de toute façon ils voteront comme on leur dira ». Depuis les choses n’ont pas changé. Sinon qu’avec la presse écrite, puis la radio et la télévision, les membres de la minorité ont compris qu’il leur fallait devenir propriétaires de ces moyens de formatage de l’opinion. Sinon que la servilité des élites politiques a été renforcée et facilitée par le texte de traités (échappant techniquement à la volonté des peuples) qui leur interdisent d’user du pouvoir de décision pour « représenter » le peuple dans les domaines qui intéressent la finance, les affaires, et le commerce. Et les obligent, par-dessus le marché, à prendre certaines décisions allant dans le même sens, fût-ce à l’encontre de l’intérêt général.
(3) Les députés survivants de la Convention (qui avaient voté la mort de Louis XVI et des nobles ; puis la mort de Robespierre et celle des amis de ce dernier) votèrent (le 13 fructidor an III / 30 août 1795) une loi électorale. Aux termes de laquelle les 2/3 (loi dite des 2/3) d’entre eux devaient avoir un poste dans les institutions qu’ils avaient fabriquées pour l’avenir (dites du « Directoire »). L’opération ne marcha pas totalement : à l’issue des élections, 394 conventionnels furent élus sur les 500 attendus. Ce qui amena la Convention à nommer 105 députés. NB. L’histoire enseigne que les « coups tordus » imaginés par les politiciens ne « marchent » pas toujours : se rappeler la loi du 10 juillet 1985, dite Fabius – Le Pen, qui n’empêcha pas les Socialistes de perdre les élections et … les postes ministériels. Sur ces questions, v. notre « textes et documents constitutionnels depuis 1958. Analyses et commentaires. Dalloz – Armand Colin.
(4) Il est amusant de constater que le texte de 1958 a été remarquablement exploité par les successeurs de de Gaulle (spécialement par N. Sarkozy et E. Macron), pour faire le contraire de ce que ce texte était censé empêcher : – que la politique ne se fasse « à la corbeille », – que la France ne soit d’une manière ou d’un autre sous tutelle, spécialement sous tutelle américaine. NB. Ce qui devrait attirer l’attention des amateurs de changement de numéro de République, sur le fait qu’une constitution, fût-elle nouvelle, ne change pas la nature humaine.
(5) En attendant que survienne un coup de balai lorsque dans la société le sentiment se sera installé, que … « trop, c’est trop ». Et qu’un catalyseur pourra alors se proposer pour lancer l’opération. (Comme en 1958 et quelques autres fois auparavant dans l’histoire).
Source Marcel Monin pour France-Soir