Des réactions en cascade
La pilule ne passe décidément pas, tant auprès des professionnels de santé, que de certains élus, à commencer par Calédonie ensemble. Dix jours après la suspension de l’aide médicale ainsi que le vote de la hausse et de la généralisation du ticket modérateur pour ces patients en province Sud, le parti non-indépendantiste a présenté à la presse, ce jeudi 25 juillet, des alternatives et ses solutions pour éviter cette « catastrophe ».
Qui bénéficie de l’aide médicale ?
Ce dispositif émane d’un texte voté au Congrès en 1989. Il stipule que l’aide médicale peut être accordée « à toute personne malade résidant en Nouvelle-Calédonie et dont les ressources sont insuffisantes pour lui permettre de faire face, en totalité ou en partie, aux dépenses nécessitées par son état ». Aujourd’hui, près de 55 000 personnes en bénéficient dans le pays (dont 26 000 dans le Sud), gérées par les trois provinces ainsi que par la Nouvelle-Calédonie (pour les personnes arrivées depuis moins de 6 mois sur le territoire).
Par exemple, une personne seule bénéficie de ce régime si ses ressources mensuelles sont inférieures au Smag (Salaire minimum agricole) qui avoisine les 140 000 francs par mois.
Qu’est-ce qui change pour le ticket modérateur ?
Les bénéficiaires de l’aide médicale doivent en revanche s’acquitter d’un ticket modérateur qui est le montant minimum à payer pour ces patients, notamment lors d’une consultation. Dans le Nord et les Îles (province où l’aide médicale est également suspendue depuis huit mois), les institutions ont décidé de ne pas l’appliquer. En revanche, en province Sud, l’exécutif a décidé de passer de 10 à 20 % ce montant à charge pour les « petits risques ».
Concrètement, pour une consultation à 4 000 francs, il faut aujourd’hui payer 800 francs, contre 400 francs auparavant.
Sauf que la Maison bleue a également décidé d’instaurer un ticket modérateur de 10 % aux personnes qui en étaient jusque-là exemptées, dont les personnes en longue maladie, mais aussi les femmes enceintes et les enfants de moins de 2 ans.
Une mesure de « rétorsion sociale »
Pour Calédonie ensemble, cette généralisation du ticket modérateur, qui doit entrer en vigueur au 1er août, est une « ignominie ». Car ces mesures provinciales de « rétorsion sociale », motivées par la nécessité « d’effectuer des économies budgétaires de manière urgente » étaient évitables selon le parti qui estime que l’instauration de ce ticket modérateur conduira à une économie de 320 millions de francs « au maximum » sur « un budget réel » de 50 milliards de francs. Et ce, alors que les aides votées pour la surveillance des entreprises et l’indemnisation de propriétaires de maisons ou cabinets médicaux brûlés représentent des dépenses supplémentaires de l’ordre d’1 milliard de francs.
« Est-ce que la province a les moyens de payer ? Oui. Elle a mis de côté 3 milliards de francs et dispose de 3,5 milliards de francs de non-recours à l’emprunt », dénonce Philippe Dunoyer, qui estime, qu’à travers ce choix, la chef de la Maison bleue, veut en priorité s’en prendre aux habitants des quartiers populaires « jugés responsables de tout ou partie des émeutes depuis le 13 mai », mais « avez-vous vu un dialysé ou une personne atteinte d’un cancer sur un barrage ?« , ironise l’élu.
Une mesure contraire à la Constitution ?
Pour Calédonie ensemble, ces dispositions sont contraires à la Constitution selon laquelle « la nation garantit à tous la protection de la santé »*, qui comprend l’ensemble de la population sans distinction d’âge, d’état de santé, de niveau de revenus, d’éducation ou de résidence.
« Dans sa décision de 2007, le Conseil constitutionnel estime que le droit à la protection de la santé ne doit pas être remis en cause par la fixation d’un montant de franchise au regard des ressources des bénéficiaires », poursuit Philippe Dunoyer, pour qui « c’est incontestablement le cas » de la création d’un ticket modérateur de 10 % applicable aux bénéficiaires de l’aide médicale souffrant d’affections de longue durée, nécessitant un traitement particulièrement coûteux. Et ce, alors même que les assurés couverts par le Ruamm, qui ont des revenus supérieurs, bénéficient d’une exonération totale de ce ticket modérateur pour les longues maladies (à l’exception faite des consultations médicales).
Quels sont les risques de cette décision provinciale ?
Calédonie ensemble bat en brèche la ligne de défense de Sonia Backès, selon qui cette décision « ne mettra en danger la vie de personne » car « les Calédoniens pourront toujours aller dans les dispensaires ou à l’hôpital » où le ticket modérateur ne s’applique pas. Sauf qu’en ce qui concerne les dialysés, 95 % des malades sont soignés en dehors de l’hôpital par des structures dédiées (ATIR, U2NC). La dépense moyenne mensuelle pour un dialysé est estimée par le mouvement entre 500 000 et un million de francs, soit désormais entre 50 000 et 100 000 francs par mois à mettre de sa poche pour des personnes aux revenus limités, « si ce n’est inexistants ». Autrement dit, pour Calédonie ensemble, « ces patients vont arrêter de se soigner » puisque les CMS ne sont pas équipés pour ces soins et que l’hôpital (où le ticket modérateur ne s’applique pas non plus) n’est pas en capacité d’accueillir autant de nouveaux patients.
Même constat pour les malades de cancer, dont les traitements coûtent en pharmacie entre 50 000 et un million de francs la boîte. « Des médicaments dont ne disposent ni les dispensaires, ni le Médipôle pour ces patients », martèle le parti.
Quelle solution propose Calédonie ensemble ?
Le mouvement a déposé, ce jeudi matin, sur le bureau du Congrès une proposition de loi de pays pour exclure la possibilité d’instaurer un ticket modérateur applicable aux personnes en longue maladie (à l’exception des consultations médicales), aux femmes enceintes et aux enfants de moins de 6 ans.
Objectif : la faire adopter par les élus du boulevard Vauban d’ici fin août après que le Conseil d’État et le Cese aient rendu leurs avis. Alors que Calédonie ensemble, l’Éveil Océanien et le FLNKS ont voté contre ces décisions en assemblée de province Sud, le parti ne doute pas de dégager une majorité au Congrès à ce sujet.
« Avec ce dispositif mortifère, on va assister à un effondrement de l’aide médicale alors que les effectifs risquent de considérablement augmenter ces prochains mois avec près de 20 000 nouvelles personnes au chômage depuis le 13 mai, alerte Philippe Gomès. Ce problème va bientôt concerner un public bien plus large.«
Autres conséquences redoutées par Calédonie ensemble : d’une part, une accélération des départs de professionnels de santé qui se voient perdre un chiffre d’affaires « non négligeable » avec la fin de l’aide médicale ; d’autre part, une répercussion sur le Médipôle (notamment sur le service des urgences) qui fait l’objet d’un départ massif de personnel depuis les exactions. « Tout le système sanitaire va s’effondrer si nous ne mettons pas fin au plus vite à cette ineptie », conclut Phlippe Michel.
*11e alinéa du préambule de la Constitution de 1946.
Les Nouvelles Calédoniennes