L’incidence des violences sur le nombre de départs n’est pas encore quantifiable. Mais on sait déjà qu’il ne concerne pas que des Métropolitains installés depuis quelques années. Des Calédoniens – ici de l’agglomération – prennent le large, contraints ou par manque d’espoir.
Qu’est ce qui peut forcer des personnes viscéralement attachées à leur pays à le quitter ? La haine, la violence, les conséquences sur la vie personnelle. C’est universel et l’arrachement est d’autant plus douloureux quand c’est la terre qui les a vus naître.
Jade*, 35 ans, patentée, et son compagnon se sont donné six mois pour s’en aller avec leur petite fille de quatre ans. Heureusement, précise-t-elle, leur volonté d’acquérir un logement et un local commercial ne s’est pas concrétisée. Direction la Bretagne, où ils ont quelques attaches.
« Après, on va essayer d’avoir des revenus en ligne pour bouger, car on n’a pas du tout envie de rester en France. » Ils y ont vécu huit ans, le temps des études, après s’être rencontrés ici au lycée. « À l’époque, on avait justement envie de rentrer à la maison parce que la France est très différente, parce que ma famille, mon île me manquaient. »
S’ÉLOIGNER PLUTÔT QUE SUBIR
Ils avaient néanmoins l’envie de voyager un temps, tout en gardant la Nouvelle-Calédonie comme port d’attache, d’ici trois ou quatre ans. « C’est devenu une urgence. » La principale motivation de Jade – et les larmes ne sont pas loin – la sécurité de sa fille. « Avoir un enfant dans ces conditions, c’est anxiogène. J’ai grandi au Vanuatu et ici et je ne me suis jamais sentie en insécurité, alors que là, on dort d’un œil. Je ne veux pas qu’elle vive cela. »
Dans son entourage, d’autres vont faire de même. « On se demande si les enfants peuvent aller à l’école, s’ils y sont en sécurité, et puis on sait que le coût de la vie va augmenter, que pour certains ce sera très compliqué de travailler, de se faire soigner. » Plutôt que de subir la situation, Jade préfère « aller voir autre chose ».
Thomas, 29 ans, va aussi faire le chemin inverse vers Toulouse, ville de ses études où il ne comptait pas retourner. « Pour moi, c’était le passé. » Sa copine doit y compléter son cursus, lui devait rester et passer les concours de la fonction publique. Il a investi dans un logement qu’il a entièrement rénové, pris deux chiens, une voiture. Mais tout a basculé. Les locaux de son entreprise, dans le tourisme, ont été incendiés, puis la crise a produit ses effets, il a été licencié. Thomas a peu d’espoir de retrouver du travail. « Je me dis qu’on sera 20 000 sur une offre d’emploi, c’est mort. »
Son appartement est déjà loué, il reste chez ses parents qui garderont ses animaux et compte sur l’argent de son licenciement. Mais il attendra septembre pour le départ, « en août ça va jusqu’à 327 000 francs l’aller simple ». « Tout cela n’est pas évident, confie-t-il pudiquement, il faut passer le pas quand même. »
« UN PETIT VILLAGE, AU CALME »
Autre départ contraint, celui de Camille, 19 ans. Sa deuxième année au sein de l’Institut de formation en soins infirmiers (IFSI) s’est arrêtée net avec la destruction de l’établissement, « brûlé, saccagé en quatre fois ». Plus de 200 élèves sur le carreau. Fini les stages aussi. Elle avait commencé le sien au CHT.
Sa mère a vite compris que rien ne reprendrait, elles ont cherché un établissement en Métropole, dans une petite ville « où les loyers sont moins chers ». « On a dû tout faire seules. » Les obstacles ne manquent pas : notes, copies, attestations ont disparu, des évaluations doivent être repassées. Elle sait que « tout le monde n’a pas la chance de partir. Financièrement et avec tous les papiers à fournir, les démarches, il faut vraiment être motivé ».
Pour ses parents, ce sont des dépenses imprévues. « Ici, c’est 60 000 francs l’année, là-bas, c’est plus de 800 000 sous réserve qu’on ait la bourse de la région », explique Camille. « Tout ça pour du personnel dont on aurait besoin localement, souffle sa mère. Parce que qui dit qu’elle reviendra ? » Elle prend l’avion cette semaine avec son compagnon, jeune ingénieur calédonien en recherche de travail depuis un an. Il n’est jamais allé en France. « On se dit malgré tout que c’est ce qu’il y a de mieux à faire, vu les circonstances. »
Jade, Thomas et Camille espèrent un jour retrouver la maison, à condition que les choses évoluent positivement.
Roger, 66 ans, formule peu d’espoir. « Le pays est dans le trou. On est dégoûtés. Et même si ça se calme, ça reviendra pareil dans huit ou dix ans. On parle du dégel, mais le combat c’est l’indépendance. » Il attend la retraite de sa femme, plus que partante, dans trois ans. Il aurait aimé l’Australie, où est sa sœur, mais c’est « trop compliqué, il faut beaucoup d’argent ». Ce sera la France aussi. Il y a plein de contacts dans le vélo. Il imagine « un petit village, au calme », car il sait qu’il y a aussi des désordres là-bas, « faut pas rêver ».
Son fils, qui travaille dans le nickel à Thiébaghi et habite Koumac, devrait suivre avec sa copine et leur petite de cinq ans. « Elle dit qu’il n’y a pas d’avenir pour les jeunes. » Ils ont récemment investi, il faudra donc revendre « quitte à perdre quelques millions » ou louer. « Ça va être difficile, on le sait, mais on veut être tranquilles. »
*Les prénoms ont été modifiés.
Chloé Maingourd
DNC.NC