Samedi 13 juillet, Butler, Pennsylvanie. L’ex-président des États-Unis livre un discours politique, une balle lui touche l’oreille, d’autres font un mort et plusieurs blessés dans le public, la foule panique, la sécurité aussi, les médias s’enflamment, et les gens du monde entier parlent. Ils parlent tant que naissent des théories farfelues, rapidement taxées du terme « complotiste », qui a changé de camp pour l’occasion.
Après une vérification ADN menée par le FBI, le tireur (éliminé juste après avoir appuyé sur la gâchette) a été identifié comme étant Thomas Matthew Crooks, un jeune homme de 20 ans vivant en Pennsylvanie. Un fusil-automatique AR-15, quelques entraînements, une carte d’électeur du Parti républicain, une donation au parti démocrate, on ne comprend pas tout de suite le pourquoi du comment. De l’autre côté de la scène, Donald Trump touché, est plaqué au sol par la sécurité, avant de se redresser le poing levé et la joue ensanglantée, pour quitter les lieux. Exceptionnel sans être unique, l’événement a suscité l’émoi et nourri les caméras.
L’image qui restera dans les mémoires, probablement, sera celle capturée par le photographe Evan Vucci, de l’Associated Press. On l’y voit admirablement bien cadré, en contre-plongée, poing levé, entouré par les gars de la sécurité et historiquement surplombé par le drapeau américain (à l’envers). D’aucuns diraient que c’est trop beau pour être vrai.
They’re insane and delusional, but I can understand why #BlueAnon would think that the assassination attempt was staged.
I mean, look at this photo.
It’s almost impossibly iconic. pic.twitter.com/XDtbG0OAW1
— Max (@MaxNordau) July 16, 2024
Entre Qanon et BlueAnon, rouge et bleu, droite et gauche
C’est quand même bizarre que la sécurité d’un ancien président américain ait merdé à ce point. Et c’est quand même bizarre que ça lui touche juste le bout de l’oreille. Oui, j’en discutais avec une amie hier, et elle trouvait ça étrange aussi. Et puis, tu as vu la photo ? C’est pas possible…
Avec la même célérité que les agences de presse, sinon plus rapidement encore, les internautes se sont emparés du sujet pour le faire leur, et pour faire leurre. Comme le rapporte Courrier International, suivant le Washington Post, des partisans de la gauche américaine assurent ainsi « que le sang sur l’oreille de l’ancien président Donald Trump vient d’un pack de faux sang en gel ; que l’attentat est une magouille, peut-être coordonnée par le Secret Service ». Une théorie voudrait que l’ancien président n’ait pas été touché par une balle, mais par un éclat provenant d’un des écrans autour. Les mêmes personnes jureraient aussi que Joe Biden a été drogué avant ses débats, que certains médias font exprès de mal le cadrer pour le desservir, et que des enregistrements audio ont été trafiqués.
Toutes ces idées proviennent d’un nouveau groupe de « complotistes », BlueAnon, Némésis de QAnon, déjà célèbre pour ses théories pédo-satanistes, entre autres. S’il est normal de s’interroger après un tel événement – ce n’est pas dans les colonnes de France-Soir que j’écrirais le contraire –, c’est plutôt sur le basculement de l’étiquette « complotiste » que j’aimerais m’attarder : pour la faire courte, QAnon était de droite (Républicains), BlueAnon est de gauche (Démocrates). Ah ! Voilà que certains liens maladroits qui étaient devenus automatiques deviennent plus difficile à assumer. La bataille s’annonce rude entre les deux camps, surtout aux États-Unis. Si bien qu’un chroniqueur du News Stateman s’attriste : « Il ne sera pas facile de réparer les cerveaux malades, complotistes, qui élaborent actuellement le récit de notre vie politique – à droite comme à gauche. »
En fait, comme le rapporte France 24 en reprenant les propos de Karen Douglas, professeure de psychologie sociale spécialisée dans les théories du complot à l’université de Kent (Royaume-Uni), « les recherches démontrent qu’il ne s’agit pas tant d’une distinction droite-gauche que d’une histoire d’extrémisme. Plus on est d’extrême gauche ou d’extrême droite, plus on est susceptible d’adhérer à ce genre de théories », résume-t-elle. Selon le média français, il existe toutefois une différence entre les deux camps : à droite, ces théories auraient des leaders capables de les faire grandir, tandis qu’à gauche, il en manquerait. « La question intéressante maintenant est de savoir si les théories du complot nées à gauche pour expliquer l’attentat raté vont rester », assure Stephan Lewandowsky auprès de France 24, chercheur en sciences cognitives et expert de la désinformation à l’université de Bristol.
Désinformation et fact-checkers
Il y a, outre les leaders, d’autres personnes qui font souvent vivre les théories en voulant les tuer : les fact-checkers. Parmi les plus connus d’entre eux, nous retrouvons évidemment les trois mousquetaires de Conspiracy Watch : Rudy Reichstadt, Tristan Mendès France et Raphaël Grably.
Si Libération, Reuters et AP se sont fendus d’articles remettant en cause les théories issues de Démocrates, entre autres, eux ne se sont pas empressés de le faire. Habituellement prompts à la critique, notamment sur le sujet du Covid, de la Russie ou de l’extrême-droite, ils n’ont pour le moment accordé qu’un bref paragraphe sur Donald Trump, à la toute fin d’une revue de presse publiée le 14 juillet dernier. Ils y mettent en avant un tweet de Raphaël Grably dénonçant les propos d’Elon Musk, jugés complotistes aussi, ainsi que les publications de Tristan Mendès France, qui avoue avec une certaine frilosité que « les thèses complotistes ne sont pas alimentées uniquement par la trumposphère mais aussi par ceux qui détestent Trump ».
Mises sous le tapis de cette manière, peut-être les thèses complotistes des Démocrates laisseront-elles bien leur place à celles des Républicains ? Ou, peut-être que d’autres fact-checkers plus ou moins zélés vont apparaître de l’autre côté.
Axel Messaire