De Peau d’âne à Ma maman est bizarre, trois siècles d’écriture ont vu bien des contes pour enfants, qu’on leur lit aux pieds du lit, et qui ont le pouvoir de leur changer la vie. Miroirs de la société, ils dépassent presque toujours le simple divertissement pour devenir des leçons, et sont lus tantôt comme une mise en garde, tantôt comme un encouragement.
Ils ont bercé des générations en inculquant aux enfants les valeurs morales de l’époque à laquelle ils ont appartenu, que ce soit le courage, l’honnêteté ou encore la liberté. Mais derrière leur apparente innocence se cachent (plus ou moins bien) souvent des messages complexes, parfois inquiétants. Prenons quelques exemples.
L’abandon, la jalousie et l’inceste
Si tous les contes ne passent (heureusement) pas par ce repoussant tryptique, certains ont été rendus tellement célèbres qu’il est impossible de ne pas considérer leur impact sur l’éducation.
Le Petit Poucet, par exemple, raconte l’histoire d’un garçon qui se sert de son intelligence pour sauver ses frères après que leurs parents les ont abandonnés dans la forêt (par deux fois), trop pauvres pour les élever. Il utilise d’abord des cailloux, puis du pain, avant d’affronter la rage d’un ogre et de lui voler ses bottes de sept lieux pour revenir chez lui. La fin est heureuse, mais quel parcours ! On y comprendra qu’il s’agit de faire face aux difficultés de la vie en se montrant débrouillard et courageux. Plus fatalement, que les parents peuvent abandonner leurs enfants, et c’est assez dur à entendre quand on n’a que huit ans.
Blanche-Neige, quant à elle, doit affronter la jalousie mortelle de sa belle-mère, qui tentera par tous les moyens de la tuer pour redevenir la plus belle femme du royaume. À force de stratagèmes, et malgré la protection des sept nains, la marâtre parviendra à venir à bout de l’enfant, jusqu’à ce qu’un prince charmant lui redonne vie miraculeusement. De multiples interprétations sont possibles : réflexion sur la compétition féminine et l’éternelle quête de beauté et de jeunesse, initiation à la puberté ou encore conte œdipien, toutes ne sont pas joyeuses. Il en va de même pour La Belle au bois dormant, qui se fait l’illustre représentante des princesses passives et dépendantes. Aujourd’hui, cette histoire, comme beaucoup d’autres de son époque, est évidemment honnie par les féministes.
Dans Peau d’âne, peut-être l’histoire la plus glauque de ce panel succinct, le roi perd sa femme et celle-ci lui fait promettre de n’épouser après elle qu’une femme plus belle qu’elle. Encore une fois, la beauté crée le mal, puisque le père décide de demander sa fille en mariage, jugeant qu’il n’y a qu’elle pour dépasser sa mère. La jeune fille s’enfuit et tentera d’échapper à son propre père en lui demandant l’impossible. Il va jusqu’à tuer son âne magique, source de toute sa richesse, pour épouser sa fille. C’est alors qu’elle devient Peau d’âne, tapie sous la bête dépecée. Elle finira par rencontrer un jeune prince, qui lui permettra d’échapper à son père. La fin est heureuse, mais encore une fois, quel parcours ! Si ce pouvait être vrai pour Le Petit Poucet, difficile de croire que ce que l’on retient de cette histoire, c’est l’ingéniosité de la demoiselle… Faut-il vraiment que les enfants soient confrontés à ce genre d’histoires pour en tirer leçon ? Ou est-ce une manière pour les parents de banaliser des considérations d’adultes, voire de préparer le terrain pour l’avenir ?
L’acceptation, la transition de genre et la gestation pour autrui
C’est dans les premières années de notre vie qu’on se construit le plus. Pour le meilleur et pour le pire, on ne le fait pas seul. Il y a les parents, les grands-parents, la fratrie, plus tard les amis, l’école et les contes pour enfants, entre autres, qui nous aident à forger notre caractère, nos valeurs, nos idées. Quelle idée !
Loin de moi l’idée de dire que Peau d’âne, lu par un enfant de dix ans, fera forcément de lui un fervent défenseur de l’inceste. Seulement, je m’interroge sur l’intérêt qu’il y a à semer dans les contes pour enfants des idées aussi complexes et dangereuses que celle-ci.
Aujourd’hui, la mode est à d’autres mœurs. Comme le décrit Paul Sugy, dans un article pour Le Figaro, les contes modernes se sont faits défenseurs de la transition de genre, de la gestation pour autrui ou encore des drag-queens. Il évoque l’ouvrage Je m’appelle Julie, qui raconte l’histoire d’un jeune garçon devenue fille : « C’est simple comme bonjour, simple comme tous les contes, simple comme les grands loups qui sont toujours méchants… et désormais, simple comme les garçons qui deviennent des filles, ou les filles des garçons. », grince-t-il, soulignant la capacité des histoires pour enfants à banaliser les choses qu’on y lit.
Plus loin, il parle de Ma maman m’a portée dans son cœur. Celui-ci met en scène une fille et sa mère, qui comme le titre l’explique, ne l’a pas portée dans son ventre. Nulle mention d’un père, qui de toute évidence n’a servi et ne sert toujours à rien. Et, aucune apparition non plus de la mère porteuse, qui est sans doute une vérité meilleure à cacher. D’autres contes laissent comprendre, voire écrivent noir sur blanc, qu’une famille, « il arrive que ce soit une seule personne qui fabrique une autre personne, toute seule ».
Enfin, c’est au tour de Ma Maman est bizarre. Le texte parle de lui-même : « Ma maman est danseuse. Avec ses copains, ils font n’importe quoi ! Je vais voir tous leurs spectacles, ils jettent leurs habits en criant et ils se roulent tout nus par terre. C’est tellement drôle. » Tant pis pour ceux qui ne comprennent pas, parce que les plus gentils, aujourd’hui, sont les plus tolérants. Les autres sont les méchants.
Justement, Paul Sugy conclut son article ainsi : « Au fond, une chose au moins n’a pas changé d’une génération à l’autre de contes : les gentils sont toujours très gentils, les méchants très méchants – et entre les deux ne sont conviées ni la nuance, ni la subtilité. » Faudrait-il pour autant changer les contes pour en faire des essais philosophiques ? Ne pourrions-nous pas considérer que les enfants n’ont pas tant besoin de difficultés et de complexité pour grandir ?
Sans en faire des obligations, de nombreux auteurs jeunesse s’évertuent à livrer des messages plus essentiels, de courage ou de liberté, d’aventure ou d’amour, car il y a de ces sujets qui sont plus porteurs que d’autres, que les enfants méritent.
Axel Messaire, pour France-Soir