Mickaël Forrest, présenté comme membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, expose à ses partenaires la situation calédonienne. Autour d’une immense table en U drapée de blanc, il y a le directeur exécutif du Groupe d’initiative de Bakou, Abbas Abbasov, et les représentants de 15 mouvements indépendantistes français dont une majorité d’ultramarins.
Il s’empresse aussi de présenter les « membres fondateurs » de « la fameuse CCAT, cellule de coordination des actions de terrain, que vous avez beaucoup accompagnée dans vos îles, vos pays », souligne-t-il, à savoir David Wanabo et Charles Qenegei.
Le GIB évoque sur sa page Instagram la présence de familles de certains « prisonniers politiques », arrêtés dans le cadre des émeutes, « traités comme des terroristes et emmenés clandestinement à Paris, où ils ont été torturés sous diverses formes ». Ambiance.
« ON A FAIT CE QU’IL FALLAIT FAIRE »
Le « ministre » en charge ‒ il faut le souligner ‒ de la jeunesse, de la prévention de la délinquance, mais aussi des relations extérieures avec le président Mapou, en vient aux récents événements. « On a travaillé selon nos us et coutumes. C’est-à-dire qu’il y avait trois phases. D’abord la phase d’explication, de sensibilisation […] de novembre au mois de janvier […] De janvier à mars, c’était la phase deux, avec une montée en mobilisation active et effectivement depuis le 13 mai, on a fait ce qu’il fallait faire, pour tous les peuples j’ai envie de dire, parce que la France, elle nous écoute mais elle ne nous entend pas. »
Voilà donc comment est présentée à Bakou, par un membre du gouvernement, l’insurrection qui a déjà privé 7 000 personnes de leur emploi (24 000 anticipés), plongé leur famille dans la précarité, détruit plus de 700 entreprises, coûté plus de 265 milliards de francs, provoqué dix morts et la destruction du patrimoine.
Et on ne peut s’empêcher de s’interroger : cette déclaration ne constitue-t-elle pas, à elle seule, une forme d’aveu ? Et que représente ce « on », qui laisserait supposer un « nous » dans cette phrase ? L’UC, la CCAT, le FLNKS ? On imagine les autorités attentives à ce type de déplacements et de prises de parole.
Plusieurs représentantes du Congrès ont aussi activement participé à l’événement : Isabelle Kaloi-Bearune (UC), Marie-Line Sakilia (ancienne UC, non inscrite) et Maria Isabella Saliga-Lutovika (ex-Éveil océanien, ex-Les Loyalistes, non inscrite, impliquée dans la campagne d’Omayra Naisseline selon Le Monde).
Elles ont dénoncé, tout à tour, « les violences policières systématiques exercées sur la population kanak », le « régime dictatorial » de l’état d’urgence, « l’omerta », qualifié la France de « pays terroriste » et évoqué un « soulèvement » de « combattants de la liberté ».
« TRAHISON »
À la suite de ce déplacement, le député Nicolas Metzdorf a saisi le parquet de Paris. S’appuyant sur le code pénal (art.40 et 411-5*), il insiste dans son signalement sur « la trahison explicite » d’élus « entretenant des intelligences avec une puissance étrangère », visant à « porter atteinte aux intérêts fondamentaux de notre nation ». Pour lui, les preuves d’ingérences étrangères dans les troubles, notamment de l’Azerbaïdjan, « semblent indiscutables », même si la justice ne s’est pas prononcée sur la question.
Les Loyalistes et Le Rassemblement demandent au haut-commissaire et au ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, de prendre les mesures nécessaires pour que cessent ces « manœuvres d’intelligence avec l’ennemi » et condamnent « la volonté des indépendantistes de construire l’avenir politique en méprisant l’avis des Calédoniens, farouchement opposés à ce que nous nous allions à des dictatures sanglantes ».
Pour Calédonie ensemble, « ce déplacement se distingue par de nouvelles déclarations outrancières de ses commanditaires qui utilisent les indépendantistes […] comme des petites marionnettes contre la France ». CE rétorque que « personne n’a été amené clandestinement à Paris », ni « torturé », mais qu’en revanche l’Azerbaïdjan se distingue par l’« épuration ethnique » des Arméniens dans le Haut-Karabakh.
Dans sa dernière lettre ouverte, l’Éveil océanien étrille « des élus qui se complaisent dans l’embourgeoisement politique, préférant être indépendantistes plutôt qu’être indépendants à l’image de leur énième lubie à Bakou ».
Tous les indépendantistes ne sont pas sur la même longueur d’onde. Le Palika pointe une « initiative de l’UC » et demande une clarification à ce sujet au prochain congrès du FLNKS.
Chloé Maingourd
*Article 40 : « Toute autorité constituée, officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. »
Article 411-5 : « Le fait d’entretenir des intelligences avec une puissance étrangère, une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou avec leurs agents, lorsqu’il est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. »
Un Front de libération
Les indépendantistes ultramarins ont créé un Front international de libération des colonies françaises. L’ambition est « d’unir les efforts dans leur processus de décolonisation », de s’opposer à la « politique raciste et les répressions » de l’État français. Les Calédoniens ont invité une délégation du Groupe d’initiative de Bakou en septembre pour les 40 ans du FLNKS. Ce groupe a aussi déclaré qu’il aidera les familles des « prisonniers politiques et les avocats qui les défendent ». Autre annonce : la création d’une bourse pour inciter les jeunes à venir étudier en Azerbaïdjan.
DNC.NC