« C’est comme sur des montagnes russes. On se demande à quoi ça sert, et après on se dit qu’il faut continuer », témoigne Christophe Delest, président du syndicat des pharmaciens (SPNC) et cogérant de la pharmacie de Rivière-Salée, zone particulièrement affectée par les émeutes. « Ce qu’il s’est passé est impensable, il y a de la colère, de la frustration. »
Les préoccupations matérielles et la gestion du quotidien prennent le pas. « La grosse difficulté est que la majorité du chiffre d’affaires repose sur la Cafat », indique Christophe Delest. L’arrêt de son activité pendant les premières semaines de la crise et de potentiels retards de paiement seraient de nature à affecter les trésoreries. « Des pharmacies pourraient rencontrer des soucis financiers. »
Six d’entre elles ont également été incendiées ou dégradées à la Vallée-du-Tir, Kaméré, au Pont-des-Français, etc. Pas sûr que leurs gérants souhaitent les reconstruire. « Il y en a qui ne veulent pas revivre la même histoire, qui n’ont pas les moyens ou qui n’imaginent pas réinstaller une structure au milieu de nulle part. À Kenu-In, par exemple, il n’y a plus rien », commente Christophe Delest, ajoutant que certains s’interrogent sur la vente de leur licence « par peur de retourner dans leur quartier ».
DES DÉPARTS
Sur le terrain, les infirmiers vivent régulièrement des désagréments. « Même si ça va mieux, on est toujours sous tension. Je pars le matin avec la boule au ventre », raconte François Delboy, qui intervient à domicile sur la commune de Païta. La crise n’a fait que renforcer les difficultés rencontrées par ce corps de métier, estime le vice-président du syndicat des infirmiers à domicile (Siad), qui déplore l’absence de leurs tutelles, Cafat et Dass, depuis le 13 mai. « Deux choses nous tiennent : nos patients, qui dépendent de nous, et nos crédits. »
Les chirurgiens-dentistes ne sont pas épargnés non plus. Quatre cabinets ont été incendiés ou détruits et « dans le Grand Nouméa, beaucoup ouvrent seulement la demi-journée et ont demandé les aides », explique Michel Oberti, président de l’ordre. Plusieurs ont fait le choix de quitter le territoire. Treize départs ont été validés depuis le 5 juin, et trois sont en cours. Les dentistes subissaient en outre une baisse d’activité depuis environ six mois en raison de la crise économique. « Il faut s’attendre à des départs. Ne resteront que ceux qui sont coincés. »
Chez les médecins, ceux qui devaient venir ne sont pas allés au bout de la démarche, raconte Bruno Calandreau, président de l’ordre. « Deux nouveaux cabinets étaient censés ouvrir le 1er juillet, ces projets ont été suspendus. Il devrait également y avoir moins d’internes lors de la prochaine promotion le 1er novembre. »
UNE SANTÉ AU RABAIS ?
Entre les professionnels qui ne viennent pas, ceux qui partent, ceux qui, à l’approche de la retraite, se posent la question de remonter un cabinet, et ceux qui envisagent de ne pas se réinstaller dans leur quartier, l’accès aux services de santé devrait se compliquer. Si c’était le cas à Kaméré, par exemple, cela laisserait les habitants de la presqu’île de Ducos sans structure médicale à proximité.
Et ainsi créer des déserts médicaux ? « C’est fort probable, répond Bruno Calandreau. Trouver des locaux est très difficile et il faut que la sécurité soit assurée. » « C’est déjà le cas en Brousse, ajoute Philippe Giraud, médecin à Katiramona. Je pense que plus personne ne va vouloir s’implanter à Apogoti ou Rivière-Salée. » Ce quartier perd également le centre médico-social de la Cafat qui a subi d’importants dégâts.
La Nouvelle-Calédonie ne séduisait déjà plus les soignants avant ces événements, et maintenant ? « C’est catastrophique. On a une population âgée de médecins et on n’est pas attractifs. Le niveau de vie d’un généraliste est 30 % moins élevé qu’en Métropole », déclare Philippe Giraud. La question n’est donc plus désormais « de savoir comment faire venir des médecins, mais comment faire pour les garder », selon Bruno Calandreau.
Faut-il dès lors craindre une moins bonne prise en charge de la population ? Si les services se détériorent, la santé peut en pâtir. La protection sociale repose sur la Cafat, à la peine avant les événements. « À part l’État, il n’y a pas de solution, c’est la fin du système tel qu’on l’a connu », affirme Christophe Delest.
« Si la Cafat s’effondre, c’est fini, il n’y a plus de retraites, plus de soins », appuie François Delboy. Face à une « situation grave et inquiétante à moyen terme », poursuit Bruno Calandreau, « une réflexion globale sur les professions de santé en général » apparaît indispensable. Ce contexte délétère pourrait affecter directement les Calédoniens, en dégradant la qualité du soin et du remboursement.
DNC.NC