Une blessure pour une famille, une commune et plus encore. Située en bordure de route, à la bifurcation entre la sortie nord de La Foa, Farino, Sarraméa puis vers Canala, l’ensemble aux toits rouges attire systématiquement le regard. On y imagine toute une histoire, à l’orée de la rivière.
La première habitation, un trois pièces en torchis avec une véranda autour, est construite en 1890 par un fonctionnaire de Fort Teremba. Le terrain est vendu à Françoise Lavergne, divorcée Delathière. « À cette époque, Joseph Lacour, 19 ans, Lafoyen né en Métropole, part travailler à la mine à Thio, où l’on remarque déjà son goût du commerce, raconte Marie-Josèphe Nicolas, sa petite-fille. Avec ses économies, il achète une première maison dans la commune, avant de partir sur une deuxième, a priori en face de l’église. Il construit une usine à café derrière. »
Il épouse Maria Delathière. Le jeune couple s’installe à Fonwhary en 1902 sur la propriété Lavergne, mère de Maria, décédée. Sur place, le bâtiment principal, posé sur un socle en maçonnerie, englobe l’ancienne maison de torchis. Les dépendances, annexes, docks, surélevés également, mais recouverts de tôle, se développent à l’arrière.
On y fait de la culture, de l’élevage et le logement central fait office de magasin. Pour les anciens, c’est une institution dans une zone très peuplée. « On y vendait de tout. Notamment des soieries de Lyon, des porcelaines de Limoges, du champagne. »
UNE HALTE POUR LES VOYAGEURS
« Les gens venaient de Nouméa et même de Nouvelles-Hébrides », détaille sa descendante. « C’était vraiment le centre commerçant névralgique de la région, qui servait même de banque », abonde Jerry Delathière, historien affilié à la lignée de l’épouse. Une halte stratégique pour les voyageurs qui pouvaient se poser autour du comptoir pour un verre ou un café.
Les anciens se souviennent que Maria Delathière, qui avait neuf enfants, servait à manger gratuitement aux visiteurs. Le commerçant développe une entreprise florissante. « Il avait cela en lui. J’ai retrouvé ses livres de compte, il n’avait pas fait d’études, mais la façon dont ils sont tenus est incroyable. » Joseph Lacour traite aussi le café acheté aux colons, concessionnaires pénaux, qu’il revend à Nouméa. Jerry Delathière évoque « un système de débit à l’année. Il payait sur la récolte à venir ». Il entretenait aussi un véritable négoce avec les tribus de Sarraméa, Couli, etc.
PEINTURES
La maison présentait des signes d’aisance, très rares en Brousse à cette époque : des vitrages colorés, une décoration confiée aux frères Servais, des artistes itinérants libérés du bagne, condamnés pour émission de fausse monnaie. Ces peintures avaient été réalisées à même les cloisons de bois ou sur des toiles représentant des natures mortes. « C’était quelque chose de très précieux et c’est dommage que tout ça soit partie en fumée », regrette l’écrivain, qui s’est intéressé à cette demeure dans un historique des maisons de La Foa et lors des visites du Mois du patrimoine.
Joseph Lacour décède à la maison à 67 ans. Trois fils continuent d’habiter la demeure. Et par la suite, « on y venait toutes les semaines, relate sa petite-fille. La propriété, jamais classée, visiblement par choix, était bien entretenue et sous protection avec plusieurs caméras et alarmes, arrachées le 24 juin. Ce soir-là, des émeutiers brûlent la maison principale et pillent toutes les autres. Parmi les pertes, les peintures, la vaisselle, les meubles d’époque… Demeurent aujourd’hui, quoique vidés, la cuisine, la garçonnière et le dock du grand-père. Et les mémoires. Étrangement, la parole se transmet davantage qu’à l’époque.
Depuis ce sinistre, beaucoup de personnes viennent conter des souvenirs à la famille. « Des femmes m’ont dit que ma grand-mère avait fait leur robe de mariée, un autre que mon grand-père nourrissait des familles dans le besoin, amenait régulièrement des gens à la messe à La Foa sur sa charrette à bœufs, qu’il avait aussi une scierie, etc. »
La famille s’organise pour y rester. Marie-Josèphe Nicolas envisage de collecter ces informations et un avenir pour la bâtisse. « Je pense à mes petits-enfants pour tenir et c’est sûr que je veux que ce soit reconstruit à l’identique pour le grand-père. »
Chloé Maingourd
*Joseph Lacourt avait fait retirer la lettre « t » de son nom
ATAÏ : le clan Daweri lance une enquête privée
Dans la nuit du dimanche 21 au lundi 22 juillet, le mausolée du chef Ataï et de son sorcier Dao a été profané à La Foa, Fonwhary. Les deux crânes, restitués en 2014, ont disparu. Une enquête de gendarmerie a été ouverte. « Nous le pensons tous : on a voulu porter atteinte à la spiritualité kanak. En profanant cet espace, on s’attaque au destin commun », explique Cyprien Kawa, fils du grand chef Bergé Kawa, descendant de l’icône de l’insurrection de 1878.
L’inhumation d’Ataï en ce lieu le 1er septembre 2021 avait été accompagnée d’un message de paix et de réconciliation autour d’« un projet pays » en compagnie des représentants du gouvernement calédonien, de l’État, des provinces… Après la violation de la sépulture, « nous sommes restés soudés plus que jamais », appuie Cyprien Kawa.
Son clan Daweri a décidé de solliciter, en parallèle de l’enquête de gendarmerie, des experts indépendants pour la recherche de preuves. Des points interrogent : l’auteur de la photo du mausolée profané n’est toujours pas connu des descendants d’Ataï, ou encore deux détonations ont été entendues à plusieurs kilomètres le soir du délit, ce qui laisse penser à l’utilisation d’explosifs.
Yann Mainguet
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