Le dock de l’association Témoignage d’un passé, à Normandie, riche de milliers d’objets patrimoniaux, a été incendié au début des émeutes. Une perte considérable pour la Nouvelle-Calédonie.
Un trésor inestimable envolé en quelques heures, des milliers d’objets anciens « partis en fumée » dans la soirée du dimanche 19 mai. Yves Mermoud, président de l’association Témoignage d’un passé, a pris conscience de « l’ampleur du désastre » en se rendant sur place, au dock de Normandie, à peine une semaine plus tard.
De la « caverne d’Ali Baba », il ne reste plus que des cendres. Les biens confiés par les Calédoniens à l’Atup depuis près de cinquante ans n’ont pas résisté aux flammes. Yves Mermoud est submergé par un profond découragement. L’entrepôt abritait « peut-être 10 000 objets », dont plusieurs centaines « d’une grande valeur ».
Les plus beaux meubles, comme des buffets façonnés par des ébénistes du bagne, les instruments de musique de la fanfare de la transportation, les nacres sculptées côtoyaient les collections de vélos, lampes à pétrole, tourne-disques, postes de radio, machines à coudre Singer, vaisselle, linge de maison… Mais aussi des pièces uniques : « cette grande carte de toutes les conduites de bétail », ce lit à baldaquin, dit lit du gouverneur, « un ouvrage magnifique en bois ». Et puis, à l’intérieur, également, les biens de l’association : mallettes pédagogiques, anciennes expositions, archives, etc. Une disparition incommensurable « pour nous et pour les familles calédoniennes ».
LA VILLA-MUSÉE N’EST PLUS
Quelques items noircis, abîmés, ont pu être récupérés. « Les vieux appareils photo à soufflet sont collés et déformés par la chaleur, mais nous n’avons pas eu le courage de les laisser », glisse Yves Mermoud. Et des articles que l’association pense pouvoir sauver et nettoyer. « On a essayé avec la vaisselle, mais quand on la passe à l’eau, elle casse. »
Seul ce qui était stocké dans la coursive a été épargné. Têtes de lit, sommiers, lessiveuses, les premiers projecteurs de cinéma Hickson, etc. L’ensemble a été transféré dans un bâtiment mis à disposition à Nouville, proche du Site historique de l’Île Nou, également visité, mais qui s’en sort sans trop de dégâts.
À Païta, l’Atup n’a pas non plus été épargnée. De la Villa-Musée demeurent les murs, c’est tout. « Le bâtiment devrait être rasé. » À côté, l’espace muséal, dont l’entrée a été forcée, est « utilisable ». Yves Mermoud souhaiterait pouvoir continuer à exploiter le lieu, qui appartient à la ville. « Il y a la maison de tonton Marcel, le stockyard, la piscine, tout l’environnement d’une propriété rurale. On pourrait proposer quelque chose sur la façon dont vivaient les pionniers de l’agriculture, de l’élevage en Nouvelle-Calédonie. »
Afin d’éviter d’autres drames, les bénévoles de l’Atup ont très vite enlevé, par précaution, les principales pièces exposées dans les différentes structures. « Nous hésitons à les ramener, un édifice qui brûle peut être remplacé, pas ce qu’il y a dedans. Les collections sont irremplaçables. »
SE RÉINVENTER
Mais arrêter n’est pas une solution envisageable pour Yves Mermoud. « J’ai donné trente ans de ma vie à l’Atup, je ne suis pas prêt à abandonner. On se doit de continuer, se dire que tout n’a pas été fait en vain. » L’entrepôt de Normandie va être reconstruit. « C’est lancé. » Et les projets se multiplient pour « rebondir, se réinventer » et s’adapter au nouveau contexte. « La mise en lumière du patrimoine calédonien ne se fera plus comme avant le 13 mai. Jusqu’à présent, notre leitmotiv était de faire venir les gens sur le site afin qu’ils le découvrent. Maintenant, nous allons les inviter à des visites virtuelles » de l’espace muséal de Païta, la maison Célières, le musée du bagne, le bâtiment cellulaire de Nouville.
L’Atup envisage de développer les podcasts, les visites avec QR code, les parcours géolocalisés, et travaille sur un nouveau site internet. « Tout sera plus accessible et visible dans le monde entier, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. » L’association, qui rencontrait déjà des difficultés budgétaires avant les exactions, s’évertue à limiter son fonctionnement au maximum. « Les trois salariés sont au chômage partiel, nous ne faisons plus aucune dépense. »
Et pour financer ses plans, alors que les collectivités sont à sec, l’idée est de se tourner vers l’Hexagone. « Nous avons répondu à un appel à projets sur la valorisation du patrimoine outre-mer. » L’Atup se projette sur la réouverture de ses sites historiques, le 1er octobre pour le musée du bagne, et ainsi renouer avec le public. « Tout cela nous permettra de dépasser ce qui est arrivé. »
Anne-Claire Pophillat
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