Il y a deux mois et demi, l’agglomération nouméenne s’embrasait avec un niveau de violence inédit en Nouvelle-Calédonie. Au fil des semaines, voitures, bâtiments ou encore mobiliers urbains sont partis en fumées. Outre les effets économiques et environnementaux, ces brasiers ont aussi un impact sur la santé humaine.
Depuis le 13 mai, les émeutes dans le pays sont marquées par des milliers de feux de bâtiments et de voitures qui libèrent des fumées dangereuses pour l’homme. Irritations de la gorge ou des sinus, quintes de toux, problèmes respiratoires liés à l’inhalation de matières toxiques, les exactions ont des conséquences, parfois irrémédiables, sur la santé des Calédoniens.
À Nouméa, le docteur Thierry Lardenois, spécialiste oto-rhino-laryngologiste (ORL), fait face à un afflux de patients affectés par cette pollution multiforme. « On distingue deux problèmes depuis le début des exactions, à la fois des traumatismes sonores liés aux explosions, aux détonations, et l’exposition aux fumées des bâtiments et des voitures qui ont brulé (…). De nombreux patients sont venus parce qu’ils avaient des irritations pharyngées, sinusiennes, laryngées, avec des sensations de gorge qui brûle. »
Selon le spécialiste, cet environnement sonore a également créé de la fatigue auditive et donc, des acouphènes. « Ce sont ces sensations de bourdonnement et de sifflement d’oreille, souvent parce qu’il y a eu des explosions près du domicile. »
Mes patients n’avaient pas dormi de la nuit, étaient stressés, des facteurs qui peuvent accentuer ou générer des acouphènes.
Dr Lardenois, médecin ORL
La fumée qui émane des feux de voitures, de bâtiments et de mobiliers urbains est particulièrement nocive pour les personnes ayant déjà une pathologie respiratoire. « J’ai appelé un collègue pneumologue. Il m’a confirmé que les personnes atteintes de bronchites chroniques, par exemple, sont beaucoup plus sensibles aux fumées que nous avons tous respirées. Sur ce point, les consultations ont augmenté », assure le Dr Lardenois.
Et ce n’est pas Noémie qui dira le contraire. Asthmatique depuis cinq ans, elle se souvient encore de sa réaction physique lorsque les violences ont explosé dans la nuit du 13 mai. « En sortant du travail, j’ai eu l’impression de suffoquer. Cela m’a déclenché une crise d’asthme. Mon médecin m’a alors imposée un traitement à base de cortisone et de ventoline, ainsi qu’une thérapie par nébulisation. C’est un appareil qu’on loue en pharmacie puis qu’on pose sur le visage le soir. Il permet d’administrer les doses de médicaments directement dans les bronches. Ça a duré six semaines. »
Christiane, aussi, a physiquement souffert des exactions. Résidente à la maison de retraite des Cerisiers bleus à Trianon, cette septuagénaire a été aux premières loges des vagues d’incendies dans le quartier de Tuband. « Je me souviens de toutes ces fumées de pneus, de poubelles… la journée, on garde les fenêtres ouvertes, et ces fumées rentraient dans mon studio. Il y avait de la poussière noire sur mon carrelage.
Je me suis rendue compte que mes yeux étaient irrités, ça devenait flou. C’était pas normal, quoi…
Résidente de la maison de retraite les Cerisiers bleus.
Il faut dire que la fumée d’un feu de poubelles est bien plus nocive que celle d’un incendie classique. La combustion des déchets libère de nombreuses substances toxiques, comme le dioxyde et le monoxyde de carbone ou le soufre. Si on y est exposées trop longtemps, elles « peuvent faire évoluer une pathologie déjà existante », affirme le Dr Lardenois, et cela de façon irrémédiable.
Si l’impact de ces milliers d’incendies sur la pollution de l’air n’est pas encore totalement établi, des pics anormalement élevés de pollution ont bien été notés, dans l’agglomération nouméenne. « Pendant ces exactions, on a relevé un peu plus de quinze dépassements en pollution de particules fines sur l’ensemble de Nouméa, principalement concentrés sur la capitale et la presqu’île de Ducos », explique Manina Tehei, de Scalair, l’association de surveillance calédonienne de la qualité de l’air. Car c’est dans la zone industrielle de Ducos, poumon économique de la capitale, qu’ont eu lieu l’essentiel des destructions, tout comme dans les quartiers alentours de Kaméré et Tindu.
Ce qu’on a vécu depuis le 13 mai est assez inédit pour la Nouvelle-Calédonie, et il est très difficile de pouvoir se comparer à d’autres évènements de ce type donc on observé des dépassements de seuils, trois à quatre fois supérieurs à ce qu’on observe en général. Ce n’est pas anodin.
Manina Tehei, directrice de Scalair
Toutefois, la directrice de Scalair relativise la situation. « Il faut savoir qu’on a de la chance en Nouvelle-Calédonie, car on a une météo favorable à la dispersion de toute pollution de l’air, sur la mer ». Reste à connaître l’ampleur des substances ingérées par la population pendant cette période de troubles, qui n’est pas terminée. Pour l’heure, l’association calédonienne n’est en capacité d’analyser que quatorze polluants en métaux lourds, aussi des échantillons de multiples poussières ont été récemment envoyés dans l’Hexagone. Ils livreront leurs résultats dans un à deux mois.
Outre-mer la 1ère – nouvelle calédonie