TRIBUNE – Il est intéressant d’observer la courbe de l’activité civile des Cours d’appel. 220 000 affaires nouvelles en 2014 ; 137 434 en 2020 ; 155 392 en 2022. Soit – 38% entre 2014 et 2020, et moins 30 % entre 2014 et 2022.
Si on comprend la chute de volume en 2020 par la catastrophique gestion de la Covid qui avait conduit littéralement à la fermeture des tribunaux, la baisse observée en 2022 par rapport à l’année 2014 pourrait s’expliquer aussi par la curieuse réforme effectuée par le décret du 11 décembre 2019 qui a institué l’exécution provisoire de droit.
Rappelons qu’avant cette réforme, l’exécution provisoire devait être ordonnée, et qu’elle n’était de droit que dans un certain nombre de cas limités (référé, domaine de l’évidence…). Et d’une façon générale, les décisions ne pouvaient être exécutées qu’à partir du moment où elles devenaient définitives, c’est-à-dire, après mise en œuvre du recours ou renonciation au recours.
Depuis cette réforme, et assez curieusement, lorsqu’une partie est condamnée, elle doit exécuter au préalable la décision qu’elle entend faire rejuger en appel, si elle veut se soustraire à la radiation.
En effet l’article 524 du Code de procédure civile dispose littéralement que « Lorsque l’exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu’il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d’appel, décider, à la demande de l’intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l’affaire lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l’article 521, à moins qu’il lui apparaisse que l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l’appelant est dans l’impossibilité d’exécuter la décision. »
Sauf à obtenir la suspension de l’exécution provisoire en déposant une requête devant le premier président qui serait systématiquement refusée si on croit la pratique rapportée par les avocats, les seuls moyens de se soustraire à une possible et probable radiation sans exécuter sont de consigner les fonds ou de rapporter la preuve de l’impossibilité d’exécuter la décision.
Il est intéressant d’observer qu’il ne suffit pas de présenter des arguments sérieux d’annulation ou de réformation pour obtenir la suspension de l’exécution provisoire ; il faut aussi, puisque les conditions sont cumulatives, rapporter la preuve que l’exécution entraine des conséquences manifestement excessives (art. 514-3).
Rappelons qu’un jugement est réputé contradictoire, même si le défendeur ne comparait pas, s’il est susceptible d’appel. Ce qui veut dire clairement qu’une personne qui n’aurait pas été correctement informée du procès qui lui est fait, parce qu’elle n’aurait pas eu entre les mains l’assignation qui doit théoriquement lui être remise à personne, doit, à compter de la signification de la décision (remise de la décision par commissaire de justice) normalement exécuter la décision de première instance pour échapper au couperet de la radiation si elle veut faire appel. Ainsi, celui qui n’aurait pas à sa disposition les fonds permettant de couvrir une condamnation alors même qu’il ignorait tout du procès qui lui a été fait peut se voir refuser le droit de faire rejuger l’affaire en appel.
A cela s’ajoutent les sanctions prévues par les articles 901 à 916 du Code de procédure civil qui frappent de caducité ou d’irrecevabilité les appels, les conclusions ou les requêtes remises en dehors des délais (15 jours à 3 mois) sans qu’il soit possible d’obtenir une prolongation se justifiant par des circonstances exceptionnelles (hospitalisation pour cancer) … Ce qui conduit à la multiplication des engagements de la responsabilité des avocats qui ont parfois le plus grand mal à tenir les délais.
Ces conditions de recevabilité de l’action qui sont nouvelles (déc. 2019 pour l’exécution provisoire de droit) et exceptionnellement contraignantes pour les gueux, les classes moyennes et d’une façon générale pour ceux de nos concitoyens qui vivent de leur travail, ne présentent pas le même caractère pour les plus fortunés qui n’y verront qu’une simple formalité. Il y a donc une véritable rupture de l’égalité des justiciables en fonction de leur fortune. Il est curieux que la presse se soit abstenue d’en parler, et que cette réforme, qui est contraire à l’esprit de notre droit, n’ait pas entraîné chez les juristes une levée de boucliers.
Nous observons par ailleurs des condamnations de victime d’escroqueries, aux panneaux solaires notamment, (qui se voient astreintes au remboursement des crédits alors même que l’installation est défectueuse), suivies d’exécutions implacables, favorisées par la très curieuse réforme de la profession d’huissier de justice.
La réforme de 2015, qui a aussi été faite par Emmanuel Macron, a globalement affaibli les garanties du justiciable en matière d’indépendance de la prétendue nouvelle profession de Commissaire de justice (réunion en un seul cops des huissiers de justice et des Commissaires-priseurs, alors que l’huissier-priseur avait été supprimé par la Révolution française suite aux abus signalés dans les cahiers de doléance) par extension de la compétence territoriale, multiplication des effectifs visant à diminuer les revenus, diminution du tarif, restriction du monopole. Objectivés par des clients qui ne sont pas toujours très scrupuleux, ceux-ci voient leur obligation de moyen se transformer en obligation de résultat et sont conduits à faire du chiffre, puisque leur objectif premier est de garder ces clients, qui ont maintenant la capacité de migrer quand bon leur semble, du fait de l’extension de la compétence territoriale qui est passée du Tribunal de Grande Instance à celui de la Cour d’appel, (un facteur concurrentiel multiplié par 10 dans certaines régions).
Ces éléments cumulés conduiront inévitablement nos concitoyens vers un plus haut degré de défiance vis-à-vis de nos institutions, en accélérant une certaine forme d’atomisation, puisque l’adhésion à une Nation est essentiellement garantie par le bon fonctionnement de la justice, et qu’une justice boiteuse est un facteur de corruption, que la corruption conduit au dégoût, et le dégoût à la guerre civile, « la bonne guerre, celle où l’on sait pourquoi l’on tue et qui l’on tue », si en en croit Henry de Montherlant. On a là un argument supplémentaire pour tourner définitivement la page de la Macronie, qui détruit tout sur son passage, et qui manifestement n’est bonne, selon une expression d’Emmanuel Macron à son endroit, que pour « la foire à la saucisse. »
Jean François Tacheau pour France-Soir