DNC : Comment envisagez-vous ce duo calédonien de tendances politiques contraires à l’Assemblée nationale ?
Emmanuel Tjibaou : Je le vois comme une opportunité. C’est une vraie chance que les urnes aient rappelé, dans cette période de crise, les valeurs refuges qui ont permis l’aboutissement des accords de paix. J’ai déjà un peu échangé avec Nicolas Metzdorf, et mon approche est de faire front commun pour rappeler l’État à ses obligations de soutenir l’effort de crise, puisque lui aussi est partenaire des accords de Matignon-Oudinot autant que de Nouméa. Il a donc une part de responsabilité dans l’impasse dans laquelle nous sommes aujourd’hui.
Un « front commun » pour, tout d’abord, dégager des budgets ?
Exactement. Nous venons de rencontrer Yannick Slamet [membre du gouvernement en charge du budget et des finances], il y a des urgences sur les trois mois à venir et d’ici la fin de l’année. Une crise sociale est déjà à nos portes. Il faut être courageux. Il faut engager des réformes et, pour ce qui me concerne, les soutenir et aller au-devant de l’État qui connaît aussi des contraintes au vue du niveau lunaire de sa dette publique.
En étant deux [députés de sensibilité différente], je le redis, c’est une opportunité, c’est indiquer que les indépendantistes et les loyalistes s’engagent à avancer ensemble, parce que nous n’avons pas d’autres options que d’avoir des visions convergentes sur la restauration du calme mais aussi du contexte institutionnel pour que l’on puisse travailler à une perspective de reconstruction.
Vous condamnez les exactions ?
Oui. Ce n’est pas acceptable. Il y a une mobilisation de terrain, l’État ne nous entend pas. Après une semaine d’émeutes, l’État est allé au-devant de tous nos compatriotes en indiquant qu’il fallait établir un nouveau contrat social. D’accord, mais il faut le concrétiser, et la situation économique, institutionnelle et sécuritaire nécessite que chacun prenne sa part. Il n’y a pas de motions politiques qui ont été portées par les indépendantistes sur des exactions et des violences.
Vous êtes désormais député. L’un de vos frères a été placé en détention provisoire dans le cadre des récentes violences. Est-ce une situation compliquée ?
Non. On s’engage, on lutte. À Hienghène, il n’y a jamais eu d’actions de violence, ni d’appels à la violence. Nous sommes militants et on s’engage là où nous sommes. Je me suis investi dans la députation parce que nous voyons nos familles perdre leur emploi. Si personne ne bougeait, je me suis dit que j’allais me présenter aux élections, essayer de faire évoluer cette situation et apaiser surtout ce ressenti d’incompréhension qui est légitime puisque personne ne parle.
Mon frère est le président de la section de base UC à Tiendanite auprès de laquelle je suis affilié. Nous avons discuté ensemble de mon engagement pour la députation. Je le répète, toutes les violences sont inacceptables. Que ce soit contre les personnes et les biens, ou les violences policières. Aucun représentant politique ne peut accepter la violence.
Aucun représentant politique ne peut accepter la violence.
Vous plaidez pour le retrait du projet de loi constitutionnelle sur le dégel.
Comment s’y prendre ?
L’État a la possibilité d’avoir un discours plus clair. Le passage du texte [à l’Assemblée nationale] est l’élément déclencheur de la contestation. Des points de la méthode sont malvenus, puisque nous n’avons pas encore eu d’accord global ou d’accord sur la sortie de l’accord de Nouméa. Comment peut-on, déjà avant, saper les fondements sur lesquels les deux accords politiques ont été instaurés ?
Si l’État veut reprendre les discussions sur la base de ce précédent, ça va être compliqué. Le FLNKS n’a jamais renié ces accords, ni les loyalistes à mon sens, ni l’État. Nous faisons juste un rappel du cadre.
Vous souhaitez une reprise des discussions, mais dans quelle perspective ?
Ceux qui ont paraphé les deux accords, ce sont le FLNKS, les loyalistes et l’État. Ma base de discussion, c’est la dernière phrase de l’accord : c’est la pleine émancipation, et l’indépendance en fait partie. C’est le cadre qui a été validé par les trois partenaires, constitutionnellement, et par référendum. Nous n’avons pas changé d’option.
Des discussions, le plus rapidement possible ?
Oui. On ne peut pas continuer à marcher dans le désert. Avoir un indépendantiste au palais Bourbon, c’est l’opportunité de rappeler l’État à ses engagements sur l’écriture de la suite de l’accord de Nouméa.
Le député est libre, mais avec qui échangerez-vous sur la politique
à suivre ? Le FLNKS ?
Oui. Je suis le député de tous les Calédoniens, et un député indépendantiste suit le mouvement de libération.
Propos recueillis par Yann Mainguet
Quel groupe ?
Il s’agit de son tout premier mandat politique. Emmanuel Tjibaou était, mercredi 10 juillet, dans une démarche de prise de contact « avec l’ensemble des partis à la gauche de l’hémicycle ». Et ce, afin de faire le choix d’un groupe de l’Assemblée nationale au regard du soutien possible à la feuille de route fixée, à l’actuelle situation économique et politique de la Nouvelle- Calédonie…
DNC.NC