Depuis quelques années, l’Europe s’est donné pour défi de faire fleurir de nombreuses usines de batteries sur son territoire afin de concurrencer la Chine et les États-Unis sur le marché de l’automobile électrique. Plus facile à dire qu’à faire. Aujourd’hui, tant au niveau des ventes que de la production, il semblerait que nous n’ayons plus de jus.
L’idée initiale, née d’une ferveur écologique doublée d’un penchant pour l’innovation, c’était de n’avoir plus aucune vente de voiture thermique neuve en 2035. Un beau projet sur le papier, qui a d’abord été accompagné par une forte croissance des ventes de voitures électriques. Imaginant le marché sain et porteur pour l’avenir, l’Union européenne s’est donc voulu moteur, entreprenant de faire sortir de terre quelques usines de batteries capables de nourrir la production du continent.
Les « gigafactories » européennes
En mai de l’année dernière, Le Figaro dessinait une carte d’Europe répertoriant l’ensemble desdites « gigafactories » européennes actuelles, et à venir. Pour l’heure, à peine une dizaine d’usines sont en activité sur le Vieux continent. Parmi elles, celle de Douvrin, installée dans le Nord Pas-de-Calais et financée par la coentreprise franco-allemande entre Stellantis, TotalEnergies et Mercedes : Automotive Cells Company (ACC). Un site de 34 hectares, jonché de machines toutes plus coûteuses les unes que les autres animées par des techniciens chinois ou coréens, théoriquement capable de produire assez pour équiper plus de 500.000 voitures électriques par an, d’ici à 2030. Le Airbus du marché automobile électrique européen, qui déjà bat de l’aile.
Comme le rapportent Les Échos dans un article du 4 juin 2024, ACC « tire le frein à main sur ses projets de nouvelles usines ». Celles qui devaient pousser en Allemagne et en Italie sont repoussées ; les efforts resteront pour le moment concentrés sur l’usine française. Et pour cause ! La demande diminue, nous n’avons pas de matières premières, et la concurrence est rude. Notons aussi que l’entreprise franco-allemande fabrique des batteries lithium-ion NMC (nickel-manganèse-cobalt), performantes mais coûteuses, tandis qu’une nouvelle technologie de batteries LFP (lithium-fer-phosphate) fait fureur en Asie, moins performante, mais moins chère.
« Tout le monde réfléchit à cette technologie, reconnaissait à l’automne dernier une source au fait du dossier. ACC travaille sur cette technologie, même s’ils ne sont pas encore près de l’industrialiser. », avoue l’entreprise, cherchant à justifier son « pivot technologique ».
Le fait est que toutes ces interrogations ne sont pas rassurantes pour la tant attendue souveraineté européenne. Si bien que Patrick Pouyanné, PDG de Total Énergies, a décidé de faire marche arrière en calmant ses investissements dans ACC. En désaccord stratégique avec Stellantis et Mercedes, il plaisantait à moitié : « Nous avons eu la mauvaise idée de nous associer avec des constructeurs dans ACC. Ils vont d’ailleurs devoir se débrouiller avec un peu moins de mon argent à l’avenir. » Au même moment, il assurait que la production de batteries électriques était un travail de « pâtissier » : « Vous devez appliquer des couches extrêmement fines de réactifs, d’anode et de cathode. Cela s’apprend avec des ouvriers qui font d’abord du rebut, et une courbe d’apprentissage qui se mesure en années. » Alors, patience. Mais pour combien de temps, à quel prix ?
S’entêter ou débrancher ?
Difficile de croire que mettre tous nos œufs dans le même panier électrique soit une bonne idée. Outre les arguments écologiques souvent douteux, il faut bien voir que le marché automobile français s’est décomposé en quelques années.
Dans un article publié le 24 juin dernier, Challenge’s donnait à voir quelques chiffres pour le moins éloquents : avec seulement 1,6 % de la production planétaire, « la France n’est plus que le 12e producteur de véhicules dans le monde » et enregistre un déficit commercial à plus de 24 milliards d’euros entre mai 2023 et avril 2024. En 2005, nous étions en 5e position. Autrement dit, notre virage électrique s’est clairement fait au détriment de notre savoir-faire thermique, qui a pourtant servi de modèle pendant des décennies. Aujourd’hui, le gouvernement soutient financièrement la production électrique (avec Renault, notamment), « mais toutes les nouveautés non électriques de la firme au losange proviennent d’usines étrangères : Captur restylé, Symbioz, Rafale (Espagne), sans parler du Dacia Duster (Roumanie) ».
Indécis, les constructeurs européens repoussent petit à petit la date à laquelle ils promettent de se passer du thermique. Mercedes table toujours sur 2030, Audi plutôt 2033, et BMW trouve inutile de préciser cela : « Pour la mobilité électrique, la question n’est pas de savoir quand le moteur thermique s’épuise. La question est : quand le système sera-t-il prêt à absorber toute cette énergie électrique ? Il s’agit des infrastructures de recharge et des énergies renouvelables. Les gens sont-ils prêts ? L’ensemble du système est-il prêt ? L’infrastructure de recharge est-elle prête ? », questionnait Frank Weber, chef du développement de BMW, au cours d’une interview donnée à Automotive News. Entre-temps, il semblerait qu’on mise un peu sur l’hybride, qui n’a pour avantage que d’éviter de choisir un camp cependant qu’on cherche d’autres solutions écologiques. En Chine, le gouvernement déploie d’importants moyens pour le développement de moteurs thermiques à hydrogènes.
Reste à savoir, donc, si l’électrique demeurera compétitive, et surtout, utile. En attendant, il y a fort à parier que les plans européens vont être amenés à évoluer rapidement.
Source Axel Messaire, pour FranceSoir