Voilà déjà une bonne dizaine d’années que le projet du Grand Paris Express (GPE) a été lancé, conduit par la Société du Grand Paris (SGP) en partenariat avec Île-de-France Mobilités. Il avance, petit à petit, entraînant avec lui son lot de débats, de questionnements, de problèmes. Autour du plateau de Saclay, notamment, c’est un sérieux sujet de tension.
Inscrit dans le projet ambitieux du Grand Paris, l’objectif est clair : étendre l’activité de la métropole en incluant sa rocade dans son circuit de transports en commun. Selon les termes employés par chacun de ses défenseurs, le GPE devrait tout à la fois désenclaver certains territoires socialement fragilisés, soutenir le développement économique de la région et permettre un meilleur accès à l’emploi, sans voitures. Après tout, pourquoi pas ?
Issu de l’accord entre le Conseil régional d’Île-de-France et l’État, courant janvier 2011, le GPE est sorti gagnant d’une compétition entre plusieurs projets, parmi lesquels le Réseau de transport public du Grand Paris et Arc Express. 100 % automatique, avec ses 4 nouvelles lignes pour 200 km de métro et 2 prolongements de lignes actuelles, 100 000 emplois et quelques 3 millions de voyageurs quotidiens, le GPE était le choix le plus aventureux, et le plus coûteux. Selon le Sénat, en 2020, le montant total du budget s’élevait à 42 milliards d’euros. Un chiffre qui a doublé depuis le lancement du projet, et ne cesse d’augmenter.
Le plateau de Saclay en danger ?
Parmi les nouvelles zones agglomérées – en l’occurrence par le tronçon ouest de la ligne 18 –, nous retrouvons le plateau de Saclay, dans le nord de l’Essonne et le sud-est des Yvelines, qui abrite le fameux Paris-Saclay. Un pôle scientifique et technologique pensé pour devenir une espèce de Silicon Valley à la française, cet espace réunit de nombreuses institutions prestigieuses : CNRS, CEA, École polytechnique, HEC Paris, Technocentre Renault, Danone, Télécom Paris, AgroParisTech, entre autres.
Ce qu’il y a, c’est que pour faire tourner tout ce beau monde, il faut non seulement de l’espace, mais aussi des logements, des transports, des commerces, etc. Ainsi le plateau de Saclay devient-il peu à peu une zone urbaine, lui qui est aussi un territoire agricole de renom. Schématiquement, c’est un peu là que se fait la scission : d’un côté, ceux qui pensent que le développement industriel et technologique de la région prime ; de l’autre, ceux qui pensent que sa valeur agricole n’a pas de prix. Pendant que le viaduc sort de terre entre Orly et Versailles, les arguments défilent.
Interrogé par Les Échos, le chercheur Arm Smith, coordinateur de Colos (Collectif opération d’intérêt national Saclay) s’indigne : « ll n’existe pas au monde de métro traversant une zone agricole, qui plus est sur sept kilomètres et sans s’arrêter. Cette situation va entraîner à terme une urbanisation massive ». Caroline Doucerain, maire des Loges-en-Josas et présidente de l’association Terres et Cités, abonde en ce sens, précisant que les fermes de la région « sont déjà en difficulté ». Cédric Villani, mathématicien et ancien député (EELV) de Saclay, souhaitait même inscrire les terres du plateau au patrimoine de l’Unesco pour les protéger.
En face, Martin Guespereau, patron de l’Établissement public d’aménagement (EPA) Paris-Saclay, explique que « cette ligne 18 est fondamentale pour la réussite et l’équilibre de Paris-Saclay. Elle est structurante et va venir conforter les programmes de logements. » Et d’ajouter que « l’arrivée du métro représente un antidote à la crise immobilière. »
La question qui se pose alors : peut-on couper la poire en deux ? Cité dans le même article des Échos, Marc Pélissier, président de la fédération des usagers des transports d’Île-de-France, souligne que « si la partie Orly-Massy a son utilité, nous sommes plus sceptiques sur l’intérêt du tronçon Massy-Versailles de la ligne 18, qui va passer en pleins champs, avec peu de passagers. » Selon lui, « un bus en site propre aurait été amplement suffisant ».
Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?
Certes, avec beaucoup de retard, le projet se poursuit malgré les débats et les embûches. Chacun veut voir midi à sa porte et obtenir sa part du gâteau. Si bien que, même s’il y a encore beaucoup à faire avant de finaliser le GPE en lui-même (horizon 2030, a priori), certains départements se sont d’ores et déjà lancés dans un lobbying actif pour que les lignes soient tendues jusqu’à eux. Les Yvelines et les Hauts-de-Seine, par exemple, sont en train de négocier pour que la ligne 18 ne s’arrête pas à Versailles, mais boucle jusqu’à Nanterre. Et comme le soulignent Les Échos, la SGP ne semble pas fermée à l’idée.
« La réussite du projet actuel nous permet de voir plus loin : nous allons faire le prolongement de la ligne 18 nord entre Versailles et Nanterre », promettait Jean-François Monteils, président du directoire de la SGP. Et pour le nord, c’est une ligne 19 qui pourrait voir le jour afin de relier Nanterre à l’aéroport de Roissy. Il faudrait, pour cela, ajouter entre 6 et 7 milliards d’euros à l’enveloppe déjà salée du Grand Paris Express.
Sans surprise, ceux qui défendaient un projet plus humble en 2011, tel que l’Arc Express, s’arrachent les cheveux depuis quelques années. En 2017, Pierre Merlin, professeur émérite à la Sorbonne, signait un article pour le blog des lecteurs du Monde, assurant que le Grand Paris Express était « l’erreur du siècle ». Selon lui, il aurait été plus intéressant « d’améliorer les réseaux existants (métro, RER, Transilien), souvent à bout de souffle, accélérer la construction des lignes de tramway (qui coûte 5 à 10 fois moins cher que les lignes du GPE) en banlieue, et se limiter pour la grande rocade à des lignes de tramway ou, sur les tronçons les plus chargés, de métro léger ».
Le GPE ne sera pas prêt pour les JO 2024, comme c’était rêvé initialement. Peut-être cela lui évitera-t-il un ridicule dont il aurait eu du mal à se remettre. Peut-être, donc, que l’événement mettra la lumière sur les lignes actuelles, et nous fera prendre conscience qu’il vaut mieux mettre un pied devant l’autre, plutôt que de cacher des trains derrière les autres.
Axel Messaire, pour France-Soir