Après des semaines d’incertitude, Pat Gelsinger, CEO d’Intel, a dévoilé lundi sa nouvelle feuille de route stratégique en matière de production industrielle. Au programme : la création d’une filiale dédiée aux activités de fonderie, un gigantesque contrat avec Amazon, une aide fédérale de plus de 3 milliards de dollars et une politique générale de rationalisation des investissements, particulièrement en Europe.
Couper dans les dépenses, intensifier la politique de sous-traitance, concentrer les investissements sur les activités les plus génératrices de cash, et créer une structure susceptible d’accueillir des investisseurs tiers : voilà en substance la teneur des décisions stratégiques formulées lundi par Pat Gelsinger, patron d’Intel depuis 2021.
La prise de parole s’imposait : le géant américain des semi-conducteurs est en effet sous les feux des projecteurs depuis la publication de résultats financiers décevants au deuxième trimestre. Début août, il avait annoncé un plan social concernant jusqu’à 15 000 salariés et un objectif de réduction des dépenses de l’ordre de 10 milliards par an dès 2025, mais sans préciser la teneur exacte de la réorganisation associée. Un plan d’action était attendu pour septembre, il est là.
Intel Foundry : l’activité fonderie devient une filiale
L’activité fonderie, qui englobe l’ensemble des usines d’Intel dédiées à la fabrication de semi-conducteurs, est au cœur des annonces : elle est en effet extrêmement consommatrice de cash, aussi bien en phase d’investissement (construction de nouvelle usine par exemple) qu’en termes de gestion opérationnelle (frais de fonctionnement, mise à niveau des machines, etc.).
Sur ce volet, le géant américain annonce la création d’une filiale dédiée, Intel Foundry. Intel Foundry est le renommage d’Intel Foundry Services annoncé en 2021. Il était alors question d’ouvrir sa fonderie à des partenaires pour la fabrication de puce.
Elle pilotera donc son propre compte d’exploitation et bénéficiera d’une forme d’autonomie vis-à-vis du groupe, ce qui devrait, selon Pat Gelsinger, rassurer à la fois les clients et les fournisseurs des usines Intel.
« Cela nous donne surtout la flexibilité future d’évaluer des sources de financement indépendantes et d’optimiser la structure capitalistique de chaque entité afin de maximiser la croissance et la création de valeur pour les actionnaires », écrit le CEO d’Intel. Traduction ? Intel ouvre la porte de ses usines à d’éventuels investisseurs externes même si pour l’instant, la filiale reste 100 % détenue par le groupe, avec une gouvernance inchangée.
L’usine en Allemagne retardée d’au moins deux ans
Sans surprise, Intel procède dans le même temps à une rationalisation des investissements prévus dans ses usines, avec une première conséquence très directe en Europe : le gel du projet à plus de 30 milliards de dollars annoncé par Intel en Allemagne. Le fondeur avait pourtant recueilli un soutien financier significatif dans le cadre de la politique de réindustrialisation européenne. L’usine polonaise est également abandonnée pour au moins deux ans.
À la place, Intel appuiera ses activités industrielles en Europe sur son usine irlandaise, dont les capacités ont récemment été renforcées. S’il maintient le projet, déjà bien avancé, du développement de son usine malaisienne, le groupe déclare concentrer, pour le reste, ses investissements sur le sol américain. « Maintenant que nous avons achevé notre transition vers la technologie EUV, il est temps de passer d’une période d’investissement accéléré à une cadence plus normale de développement des procédés de gravure et à un plan d’investissement plus souple et plus efficace », résume le CEO.
Début septembre, le groupe avait déjà signalé l’arrêt des travaux autour de son procédé Intel 20A, pour concentrer ses efforts autour du procédé Intel 18A.
Rationaliser le portefeuille produits
Début août, Intel avait annoncé une revue stratégique de l’ensemble de ses divisions. « Nous prenons également des mesures pour renforcer et rationaliser notre portefeuille produits, au sein duquel nous avons identifié des opportunités claires pour mieux concentrer nos forces et améliorer notre efficacité », déclare aujourd’hui Pat Gelsinger.
Outre quelques réallocations internes (l’activité Integrated Photonics Solutions rejoint par exemple la division Datacenter et produits IA), Intel réaffirme à cette occasion son ambition de se concentrer sur la franchise x86 et de décliner plus largement cette dernière sur les marchés professionnels liés au traitement de données et à l’intelligence artificielle.
Pour ce faire, Intel mise sur les capacités industrielles que devrait lui conférer son procédé de fabrication Intel 18A. Attendu dans ses propres produits, au travers des processeurs Panther Lake (CPU pour ordinateur) et Clearwater Forest (CPU serveur) dès 2025, l’Intel 18A va surtout permettre la création de processeurs personnalisés pour un client de taille.
Un immense contrat avec AWS
Intel a, en effet, dévoilé lundi la signature d’un contrat « sur plusieurs années et pour plusieurs milliards de dollars » avec AWS (Amazon Web Services). Il prend la forme d’un investissement conjoint, autour de capacités de production dédiées à la fabrication de puces x86 personnalisées selon les besoins du géant du cloud.
Au programme : des puces dédiées à l’IA (NPU) en Intel A18, mais aussi un Xeon 6 produit selon le procédé Intel 3 (déjà déployé dans plusieurs usines américaines), dans le prolongement des accords commerciaux qui lient déjà les deux entreprises. « Nous prévoyons plus largement avec AWS de nouveaux designs faisant appel à Intel 18A, Intel 18AP et Intel 14A », indique le groupe.
Intel avait déjà annoncé au début de l’année un autre partenaire de choix : Microsoft pour ses puces maison Maia 100 (IA) et Cobalt 100 (CPU)
3 milliards de dollars d’aides fédérales
À cette promesse de chiffre d’affaires, Intel ajoute une autre manne, sous forme de subvention cette fois. Le groupe annonce en effet s’être vu attribuer une aide financière de 3 milliards de dollars de la part du gouvernement fédéral américain, dans le cadre du CHIPS and Science Act, le programme de soutien aux investissements dans les semi-conducteurs. « En tant que seule entreprise américaine qui conçoit et fabrique des puces logiques de pointe, nous contribuerons à sécuriser la chaîne d’approvisionnement nationale », déclare Intel dans un communiqué.
Saluées positivement par la bourse américaine, ces annonces ne signent toutefois pas la fin des opérations de restructuration interne. Intel précise ainsi avoir encore à réaliser près de la moitié de son plan social. « Nous avons encore des décisions difficiles à prendre et nous informerons les employés concernés à la mi-octobre. En outre, nous mettons en œuvre des plans de réduction ou d’abandon d’environ deux tiers de nos biens immobiliers dans le monde d’ici à la fin de l’année », indique le groupe.