TRIBUNE/ANALYSE (partie 2/4) Le seul espoir de l’industrie de l’Hexagone est dans la retenue rationnelle des décideurs de la coalition sino-russe qui ne se limiteront qu’à une riposte proportionnelle, au lieu d’exercer leur pouvoir de déclencher une guerre économique et de faire effondrer d’une manière radicale et dans des délais limités non seulement le secteur industriel de l’économie française, mais celui de l’ensemble de l’UE, en les privant d’importations vitales.
En parlant des chiffres du “miracle” de la réindustrialisation réalisée par le parti présidentiel, plusieurs éléments sont à retenir. Selon les dernières statistiques disponibles, la production industrielle française accuse une décroissance nette de 3.1% pour la période du 05/2023 au 05/2024.
Selon les indices de l’INSEE datant de juillet 2024 sur le climat des affaires, hormis la période particulière du Covid, ce dernier est au plus bas depuis le mois d’avril 2015 pour le secteur des services et, pour le secteur de l’industrie, au plus bas depuis ces 11 dernières années – depuis le mois du juillet 2013.
Dans le secteur du BTP le climat des affaires est au plus bas depuis avril 2016. Dans le secteur du commerce de détail, hormis la chute d’avril 2022 liée à l’incertitude produite par le déclenchement du conflit en Ukraine, le climat des affaires est au plus bas depuis novembre 2014.
En ce qui concerne les 500 nouveaux sites industriels de plus en France en 2023 par rapport à 2016, les communicants de l’Elysée “oublient” de mentionner que la production manufacturière française, quant à elle, a baissé de 4.45% pour la même période. Alors qu’entre 2012 et l’arrivée de Macron au pouvoir en 2017, elle a, au contraire, connu une augmentation de 1.2%.
En ce qui concerne la production du matériel de transport sous les deux quinquennats de Macron, elle s’est, tout simplement, effondrée.
En mettant en avant le solde positif de création d’emplois dans l’industrie depuis 2017, une fois de plus, ils “oublient” de préciser qu’aujourd’hui la France est au 22ème rang européen sur les 27 en matière d’emploi industriel rapporté à l’emploi total.
La part de l’industrie dans le PIB français en 2016, avant la prise du volant du pouvoir par Emmanuel Macron, était de 17.43% ; en 2022, à l’issue des cinq années de son mandat, cette même part été de 17.38% (Statista), ce qui n’est rien d’autre que la démonstration d’une parfaite stagnation tout à fait éloignée des narratifs développés par l’Elysée.
L’indice de la production industrielle des PMI est à 42,1, ce qui le place au plus bas depuis avril 2009, hors période Covid et la remontée post-Covid de décembre 2023.
Avec une vision à long terme, les statistiques nationales démontrent nettement et indiscutablement que le grand projet de la réindustrialisation de la France par le parti du président Macron, projet qui a été promu en tant que chantier prioritaire de ses deux quinquennats ne peut guère être qualifié de grande réussite. Et il n’est pas à négliger que nous parlons bien de l’élément de la politique nationale où l’effort et l’investissement ont été parmi les plus considérables.
La grande dépendance incontournable de l’industrie française vis-à-vis des importations énergétiques et des matières premières critiques depuis les pays, dont la France se positionne ouvertement d’une manière de plus en plus hostile, la main d’œuvre française incomparablement plus coûteuse que celle d’un grand nombre de concurrents sur le marché mondial et tant d’autres éléments de contraintes spécifiques à la production sur le sol français rendent l’idée de la réussite de la réindustrialisation française illusoire et totalement coupée de la réalité économique.
Le résultat de la gouvernance de Macron, étroitement associée à celle de l’UE, a directement mené vers l’impossibilité non seulement du développement, mais même d’une stagnation simple des industries énergivores françaises et européennes.
La survie durable de ces dernières ne peut être assurée qu’avec la délocalisation vers des pays procurant l’accès à des énergies à des coûts abordables pour pouvoir rester concurrentielles au sein du marché mondial. Notamment vers les Etats-Unis d’Amérique qui sont aujourd’hui les premiers bénéficiaires de la nouvelle politique économique de l’Union européenne et de la France.
A moyen et long terme, le processus de désindustrialisation de la France ne va que s’accentuer et ne fera qu’aggraver l’important déséquilibre du commerce extérieur déjà existant, ce que j’évoquerai plus loin. Ce déséquilibre ne sera que proportionnel à l’ampleur de la désindustrialisation qui risque d’être plus vaste que celle connue entre 1979 et 1984, quand la chute de l’industrie française a été la plus brutale en Europe.
La production industrielle française risque d’être de moins en moins concurrentielle sur le marché mondial et de se replier progressivement sur le marché intérieur intra-européen, dont l’exécutif assurera le protectionnisme qui est déjà en train de prendre de l’ampleur. Le protectionnisme qui est bien une lame à double tranchant avec le prix qui va avec et qui sera également à payer.
Le protectionnisme ou le néolibéralisme ?
La réponse est sans équivoque. D’une part, la politique commerciale protectionniste dans son état pur et irréfléchi ne peut être que porteuse d’une grave récession économique.
A ne pas oublier les leçons de l’histoire : c’est bien la politique commerciale protectionniste qui fut la cause majeure de la Grande Dépression que le monde a connue de 1929 à 1939. L’instauration d’importantes mesures protectionnistes dans les pays industrialisés a fait muter la crise financière et la récession économique du début des années 1930 en une dépression économique à l’échelle mondiale.
La hausse des droits d’importation pour venir en aide à certains secteurs de l’économie nationale provoque inexorablement des mesures de rétorsion, symétriques ou asymétriques, de la part des pays-victimes des mesures protectionnistes. Le résultat obtenu n’est que la diminution réciproque du commerce international des pays impliqués.
Mais, d’autre part, le néolibéralisme tel qu’on le connaît depuis des décennies, ne peut être bénéfique à des pays occidentaux, dont la France, qu’à la condition qu’il s’applique à des pays « partenaires », dont la politique intérieure et étrangère est globalement soumise à la volonté occidentale. La soumission, telle qu’on la connait depuis l’époque de la prétendue décolonisation : via la pression par des institutions financières internationales contrôlées par l’Occident collectif, telles que la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International ; via l’installation des présidences et des gouvernements dans des pays visés sous le contrôle du pouvoir occidental et, le cas échéant, via l’organisation de coups d’état, voir le lancement de guerres de remise en ordre des rapports « dominant-dominé ».
La guerre en Ukraine s’est avérée être un élément accélérateur de la refondation de l’échiquier politico-économique mondial dans lequel la soumission du monde non-occidental à des règles néolibérales de l’Occident deviendra de plus en plus compliqué à maintenir et à développer par ce dernier.
De même, vu la montée en puissance des économies non-occidentales disposant de plus en plus de leviers de pressions et de capacités de ripostes symétriques et asymétriques vis-à-vis de la force occidentale dominatrice, le renforcement des mesures protectionnistes par les marchés occidentaux ne peut guère être considéré comme une solution salutaire.
Ainsi, les nouvelles réalités mondiales en cours de développement ne peuvent que produire des constats alarmants vis-à-vis du futur de l’économie française.
Oleg Nesterenko pour France-Soir