Depuis presque cent-cinquante ans, les chercheurs tentaient de déchiffrer l’un des plus célèbres artefacts de Mésopotamie : l’Imago Mundi. C’est désormais chose faite, les spécialistes du British Museum ayant fourni une explication tangible sur l’utilité de cette carte fabriquée il y a trois millénaires.
C’est une tablette en argileargile en apparence tout ce qu’il y a de plus simple, marquée des logogrammes caractéristiques du cunéiformecunéiforme. Mais sur la partie inférieure de l’objet, une gravure singulière se distingue : on observe un double cercle contenant d’autres inscriptions. Découverte en 1882, les archéologues tentaient de comprendre la signification de cette tablette depuis des décennies. L’effort continu des chercheurs a fini par payer. Le professeur Irving Finkel, curateur au British Museum, expliquait dans une vidéo diffusée le 1er août dernier qu’elle serait la première carte du monde connue, conçue depuis la Mésopotamie et, plus précisément, Babylone il y a presque 3 000 ans.
La plus ancienne carte du monde. Commentaires Irving Finkel. © British Museum
Cartographier le monde dans l’Antiquité mésopotamienne
Lorsque l’écriture apparaît officiellement vers 3300 avant J.-C., elle se diffuse progressivement dans les cités-États archaïques de Mésopotamie, marquant une bascule. Loin de ne constituer qu’un outil administratif, l’écriture cunéiforme évolue, se perfectionne, se complexifie. Depuis presque 200 ans, les archéologues ont excavé entre 500 000 et 2 millions de tablettes, issues de différentes époques. Parmi ces sources primaires, on retrouve des récits mythiques tels que l’Épopée de Gilgameš, des codes de loi dressés sous le règne d’Hammurabi et autres dynasties, ou encore des traités astronomiques et astrologiques.
Ces exemples ne sont qu’une infime fraction des sujets couchés par écrit en Mésopotamie. Toute la région est particulièrement mouvante, tant sur le plan politique que militaire, ou encore socio-économique. Au début du Ier millénaire avant J.-C., le Proche-Orient est morcelé en diverses zones d’influence. L’empire assyrien se développe depuis Aššur, tandis que Babylone tente de maintenir sa puissance malgré les flux de populations araméennes et chaldéennes. Pourtant, cela n’empêche pas les savants de tenter de définir les limites du monde connu.
Imago Mundi
Lorsque les archéologues déterrent la tablette en 1882, sur le site de Sippar situé à 60 kilomètres au nord de Babylone, celle-ci est fragmentée. Mais en assemblant les morceaux, les scientifiques réalisent que la partie inférieure forme donc un schéma, sous un bloc de texte en akkadien. Pour comprendre la carte, il était nécessaire de déchiffrer les sigles anciens. Ces derniers adoptent une lecture mythologique et religieuse de la création du monde par le dieu Marduk, patron de Babylone. L’importance de Marduk était telle que sa statue était parfois « exilée » lorsque la cité était envahie par les voisins Élamites ou Assyriens. La mention prépondérante de Marduk est un indice capital pour situer l’origine de la tablette.
Les écrits gravés dans le double cercle renvoient à une « rivière amère ». Durant des années, les experts ont débattu sur la symbolique de ce cercle. Représente-t-il l’Euphrate ou un autre cours d’eau ? En réalité, la lecture de ce schéma n’est pas purement littérale. Le cercle représenterait le monde connu des Babyloniens au moment de la conception de la tablette, vers le VIIIe ou VIIe siècle avant J.-C. À l’intérieur du cercle, des rectangles et de plus petits cercles symbolisent des cours d’eau, possiblement l’Euphrate et des villes environnantes. La carte forme une cosmogonie plaçant Babylone en son centre, les historienshistoriens la nommant alors ImagoImago Mundi. Des sortes de pointes visibles sur la partie extérieure du cercle évoque les quatre points cardinaux. Le degré de lecture renvoie donc aux croyances antiques de la basse Mésopotamie, mais cet étrange objet constitue bel et bien la plus vieille carte retrouvée à ce jour.