TRIBUNE – Au premier tour, on choisit ; au deuxième tour, on élimine. Politologues et commentateurs avaient fini par oublier cette caractéristique fondamentale du scrutin majoritaire, qui est apparue en pleine lumière dimanche 7 juillet au soir.
Pour la seconde fois en deux ans, les résultats des élections législatives donnent raison au général de Gaulle qui déclarait le 16 mars 1950, au cours d’une conférence de presse : « Nous avons expérimenté, nous Français, tous les systèmes électoraux possibles et aucun n’a jamais pu compenser la malfaisance du régime des partis ».
Le scrutin majoritaire, auquel De Gaulle était fondamentalement attaché, a pourtant fonctionné de manière probante pendant plus d’un demi-siècle, et apporté aux gouvernements – d’un bord politique ou d’un autre – des majorités cohérentes et stables permettant un fonctionnement ordonné des pouvoirs publics. Mais, dès lors que « les jeux, poisons et délices » du système ont pris le pas sur l’intérêt supérieur de la France (et ils ont été surabondants entre le 30 juin et le 7 juillet), aucune digue ne résiste à la vague déferlante de la démagogie et des jeux partisans. On en a désormais la preuve.
Ajoutons à cela le fait qu’un président de la République, qui a provoqué ce scrutin législatif, ne se sente pas tenu de rendre son tablier alors qu’il est plus que minoritaire dans le pays, qu’il a subi deux revers électoraux en un mois, et que sa légitimité appartient par conséquent au passé, et nous arrivons à cette conclusion évidente : notre régime politique n’a plus que l’apparence de la Ve République, sa mise à mort est engagée.
Le référendum est remisé au magasin des accessoires, la dissolution est utilisée non pas pour résoudre un conflit, mais pour créer un chaos politique et tenter de finir un quinquennat plus que mal engagé, le président de la République ne se croit pas obligé de mettre en jeu sa responsabilité devant le peuple souverain, le mode de scrutin ne répond plus à son objet qui est de dégager une majorité à l’Assemblée nationale : en somme, il ne reste plus qu’à changer le numéro de la République.
Et le pire, c’est que ce changement de régime qui s’opère sous nos yeux, et qui n’ose dire son nom, s’effectue sous l’égide de la croix de Lorraine. Dans la défense et illustration de la Ve République que France-Soir me permet de présenter, j’ai déjà eu l’occasion de souligner cette imposture, et il m’arrive parfois de me trouver bien seul. Je trouve aussi des soutiens imprévus qui sont autant d’encouragements à poursuivre le combat pour les idées auxquelles je crois.
Ainsi, dans « Le Figaro » des 22 et 23 juin derniers, c’est une chroniqueuse belge, Catherine Van Offelen qui évoque, sous le titre : « Qui peut encore se réclamer du général de Gaulle ? », la croix de Lorraine intégrée au logo de l’Elysée, et décrit Macron comme « un général acculé qui s’engouffre dans une brèche. Son interprétation du « moi ou le chaos » devient un « moi donc le chaos ». Pour ma part, j’observe qu’aucun des successeurs du général de Gaulle ne s’était permis d’utiliser la croix de Lorraine, pas même Georges Pompidou qui avait été son collaborateur de longue date et son Premier ministre pendant plus de six années.
C’est aussi Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, qui estimait que le président de la République devrait démissionner « pour sortir du chaos », si la majorité sortante était défaite aux élections législatives consécutives à la dissolution de l’Assemblée nationale. Mais il a d’autant moins de raisons de le faire que, dans le sérail politique, personne n’ose vraiment le lui demander.
En toutes matières, il est périlleux de créer des précédents. S’agissant d’un président de la République défait aux élections législatives, il faut revenir quatre décennies en arrière, quand la droite dite républicaine avait théorisé la cohabitation pour faire échec à Raymond Barre, même si le maintien à l’Elysée contre la volonté des urnes est opposé à l’esprit des institutions, ne serait-ce que pour une raison : le président de la République ne peut recourir au référendum, puisque cette consultation du peuple n’intervient que sur proposition du gouvernement. Deux ans avant les élections législatives de 1986, organisées à la proportionnelle pour éviter une déroute électorale et assurer la survie de François Mitterrand à l’Elysée, les LR de l’époque avaient fait savoir qu’ils gardaient M. Mitterrand. Deux ans plus tard, celui-ci était réélu pour sept ans ! Et une coutume constitutionnelle était ainsi apparue.
En cet été 2024, au-delà des questions institutionnelles et des médiocres intérêts des politiciens qui s’agitent sur la scène publique, une question est posée, et on ne peut pas la poser sans gravité : où va la France ?
Alain Tranchant pour France-Soir