C’est un chiffre que les grandes entreprises du web enterrent précautionneusement depuis des années. Les émissions de gaz à effet de serre des fermes de serveurs appartenant à Google, Apple, Meta et Microsoft sont largement plus élevées que ce que les entreprises affirment. D’après une récente enquête du Guardian, le « cloud » de ces 4 géants émettraient 662 % de CO2 en plus que ce qui est indiqué dans leur bilan. Explications.
Une « compatibilité créative » qui masque le carbone
Ces dernières années, bon nombre de grandes entreprises du web ont affirmé que leurs centres de données étaient, ou allaient devenir, « neutre en carbone« . Amazon s’en est félicité il y a quelques mois, Google promet d’atteindre cet objectif en 2030, idem pour Apple et Meta/Facebook. Sauf que, comme le raconte un employé d’Amazon engagé pour la transition écologique de l’entreprise, tous ces beaux calculs relèvent « d’une comptabilité inventive« , pour ne pas dire biaisée.
L’astuce est assez simple, ces entreprises cachent les émissions réelles de leurs fermes de serveurs derrière des chiffres réajustés pour prendre en compte leurs crédits de compensation carbone. Plus exactement, ce sont les « certificats verts » qui sont derrière ces petits arrangements comptables. Permettant d’acheter des volumes d’électricité propre à des fournisseurs d’énergies renouvelables, ces « bons à polluer » permettent sur le papier de « compenser » les émissions réelles de CO2 générés par les entreprises.
Ce système, très critiqué, et sur lequel les GAFAM tentent de peser de tout leur poids en prévision de changements à venir, crée donc 2 indices : les émissions « basées sur la localisation« , qui mesure la pollution réelle des machines en équivalent CO2, et les émissions « basées sur le marché« , qui tient compte des certificats verts achetés parfois à l’autre bout du monde. Sans surprise, les multinationales du web affichent plus volontiers le second que le premier.
Une empreinte 7,6 inférieure à la réalité
En reprenant un à un les écarts de chiffres entre ces deux indices, la Guardian est donc arrivée à un écart d’émission de 662 %. Pour le dire autrement, Google, Meta, Apple et Microsoft déclarent des émissions de CO2 7,6 fois inférieures à ce que leurs serveurs génèrent réellement. Un chiffre qui devrait donner de l’eau au moulin à l’association ASL qui estimait, dans un rapport publié en aout dernier, que le système actuel encourageait les entreprises à « sous-déclarer leurs émissions dans leurs bilans officiels […] et à exagérer leurs investissements dans les énergies renouvelables«
Google, Meta, Apple et Microsoft déclarent des émissions de CO2 7,6 fois inférieures à ce que leurs serveurs génèrent réellement
Les plus attentifs et attentives auront remarqué qu’Amazon est étrangement absent de ce calcul. Pourtant c’est sans aucun doute l’entreprise dont les serveurs moulinent le plus. Le Guardian affirme que les émissions d’Apple (2e plus gros pollueurs dans cette catégorie) sont plus de deux fois inférieures à celles d’Amazon. Mais, de par son activité basée entre autres sur la location de serveurs à des tiers, les émissions brutes des machines d’Amazon sont plus difficiles à calculer. Surtout que l’entreprise joue avec les différents indicateurs pour exclure la moitié de ses serveurs de son « contrôle opérationnel » et donc de son bilan carbone.
L’IA, grande faucheuse des ambitions carbones
Cerise de carbone sur le gâteau de CO2, les émissions des datacenters ont largement augmenté ces dernières années et rien ne dit qu’elles s’arrêteront de si tôt. La course vers l’intelligence artificielle a obligé bon nombre de grandes entreprises à revoir leurs ambitions carbone à la baisse, tant cette technologie est gourmande en énergie, en eau et en matériau divers.
D’après les calculs de GreenIT, l’IA représente déjà en Europe « 5 % des impacts environnementaux des centres informatiques » et pourrait augmenter « de 20 à 25 % par an dans la prochaine décennie« . Le potentiel de réchauffement global de cette activité est comparable à « 22 milliards de kilomètres en voiture thermique, soit 543 000 tours du monde« , indique Frédéric Bordage, fondateur de GreenIT. Une équivalence qui explique sûrement pourquoi les GAFAM tentent désespérément de masquer leurs réelles empreintes carbone.