« Boum ! » proposait une analyse de l’impact de la dissolution, cette grenade dégoupillée lancée par Emmanuel Macron afin que les français se « démerdent » avec. Un énième enfumage qui lui donnait davantage l’apparence d’une grenade lacrymogène. Le jeu en valait la chandelle. Eh oui, en faisant monter artificiellement le RN au-delà de leur historique plafond de verre, il était d’autant plus facile de gérer les attentes des divers groupes.
Le RN se retrouvant avec un nombre de sièges bien plus bas qu’espérés ou attendus permettait aux participants autoproclamés de l’arc républicain de crier victoire : « on a défait la montée de l’extrême droite » « la France refuse une nouvelle fois l’extrême droite » pouvait-on entendre au lendemain du 7 juillet 2024. Utilisé une nouvelle fois comme une forme de carton jaune au rugby, une exclusion temporaire d’un joueur dans le bonneteau électoral, le temps du second tour. Tout cela afin de créer artificiellement les conditions d’une victoire pour les uns (formant l’arc républicain) et celles d’une défaite pour le RN (puisqu’il n’obtiendrait ni la majorité absolue, ni relative à l’Assemblée nationale, et cela, malgré la progression importante en nombre de sièges de 89 à 143).
Un jeu qui ne laisse plus personne dupe, cependant, il est évident que la question en titre mérité bien d’être posée.
Ceci d’autant plus que, si on y regarde « bien » (à savoir objectivement et de manière exhaustive), il y a obligatoirement lieu de considérer qu’il faut ajouter, tout d’abord, que cela ne date pas d’hier (c’est-à-dire lorsque ce parti politique s’appelait encore « Le Front National » avant le rebranding « utile » en « Rassemblement National »), et, ensuite, que cela a été reconduit « aujourd’hui » (j’entends par là la campagne des élections législatives anticipées dont la tenue s’est terminée dimanche 7 juillet 2024).
En effet, déjà, pour tout ce qui est de leur fonds de commerce politique commun, laïcité, nationalité et « programme » économique et social, le Rassemblement National a ceci de totalement similaire avec le Front National : proposer pour l’essentiel, des mesures ou mesurettes (j’y reviendrai après) qui sont difficilement applicables, voire inapplicables en France du fait de la préséance en ces matières des normes communautaires sur la loi française, ou parce que le contenu de ces mesures/mesurettes est contraire à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et/ou contraire au préambule de la Constitution de 1946.
Ensuite, s’agissant des propos provocateurs (racistes, antisémites et négationnistes) que Jean-Marie Le Pen (et pareil ses lieutenants) a tenus tout le temps où il était aux commandes du Front National (et encore maintenant ?), on arrive nécessairement à la question ou conclusion suivante (à savoir compte dûment tenu du fait qu’au contraire d’avoir été fou ou d’être devenu sénile, c’est une personne extrêmement intelligente) : Jean-Marie Le Pen a-t-il agi de la sorte pour permettre aux médias d’opérer la diabolisation du Front National qui permet à ses adversaires d’appeler à faire barrage contre lui dans les urnes ?
Et à cette autoflagellation permanente qu’il a réitérée avec davantage de véhémence et d’outrance, chacune des fois où le Front National a eu peu ou prou la possibilité de peser concrètement sur l’action politique nationale, Jean-Marie Le Pen ajoutait, lui, ceci : de toujours rester exactement sur la même ligne concernant les thèmes principaux chers à ses adhérents et à ses sympathisants (préférence nationale, immigration, insécurité, laïcité), et ceci en utilisant toujours les mêmes mots, les mêmes formules et le même ton belliqueux. Au jeu du bonneteau électoral, il est bon d’avoir des joueurs opérants des jeux prévisibles et lisibles. Cela rend la tâche facile pour les opposants (des principes), les alliées de circonstances déclarés ou même les alliances peu lisibles et cachées au grand public qui sont les jeux permettant de se partager le gâteau politique.
Au regard des dernières circonvolutions et déclarations des quatre ténors actuels du Rassemblement Nationale (Marine Le Pen, Jordan Bardella, Louis Alliot et Laurent Jacobelli), ce constat s’impose : le Rassemblement National fait l’inverse, mais pour ce qui est de faire fuir les électeurs, cela revient strictement au même.
Eh oui ! Diable !
La politique de dédiabolisation du Rassemblement National initiée sous son ancienne dénomination par Florian Philippot, a certes permis d’ouvrir substantiellement la zone de chalandise et le nombre des sympathisants en écartant du parti, immédiatement tout membre jeté au ban de l’infamie politique par l’accusation de racisme, d’antisémitisme ou de négationnisme par les médias ou sur les réseaux sociaux (1), mais les rétropédalages que ces « ténors » du RN opèrent sur les thèmes centraux de cette zone de chalandise systématiquement au moment crucial des élections présidentielles et législatives. À savoir entre les deux tours, et tout particulièrement pendant le ou les débats télévisés d’entre les deux tours. Ces rétropédalages ont immanquablement pour effet de faire renoncer, finalement, à voter pour le RN, cette part importante des électeurs potentiels du RN qui constituent ce qu’on appelle communément le vote contestataire. C’est-à-dire les électeurs enclins à voter pour le RN, non pas par attachement aux idéaux que le RN affirme défendre, mais pour montrer leur opposition à la politique qui a été menée par le pouvoir en place du moment, durant la législature précédente et/ou mandat présidentielle précédent.
C’est on ne peut plus logique.
En édulcorant son programme de la sorte, le RN en fait un programme qui, au goût de ces électeurs potentiels-ci du RN, ressemble beaucoup trop au programme que le pouvoir en place du moment propose à l’occasion de la joute électorale concernée, qui plus est, lui, en ne le changeant aucunement à ces moments cruciaux de l’entre-deux tours. Sur les sujets tels la gestion de la crise sanitaire, la vaccination covid, le conflit russo-ukrainien et israélo-palestinien, il n’y a pas une feuille de papier à cigarette entre les programmes !
En outre, d’autres éléments tendent à rendre éminemment crédible, la thèse soutenue par une grande partie des observateurs et des analystes politiques du refus du RN d’exercer le pouvoir.
Ces éléments consistent principalement en ceci.
Ce que les ténors actuels du parti appellent aujourd’hui des « erreurs » de casting et de stratégie ; « erreurs » pour lesquelles, comme à l’accoutumée, ils ont fait leur mea-culpa public cette semaine, presse conviée à cet effet, devant et dedans l’Assemblée nationale, tandis que les députés RN élus s’y sont présentés mercredi 10 juillet 2024, ces soi-disant « erreurs » ne peuvent nullement être retenues comme ayant ce caractère.
Pourquoi ?
Pour commencer parce que ces soi-disant « erreurs », les ténors du RN les réitèrent à chaque élection qui se présente comme une opportunité authentique d’accéder au pouvoir, si tant est, évidemment, que le RN ne se saborde pas en commentant des manquements manifestes à sa crédibilité politique de cet acabit. Un acabit lamentable, suicidaire, qui déjà était l’apanage du RN sous sa dénomination originelle.
Et ensuite parce que, pour tenter de masquer maladroitement cette évidence, les ténors s’emploient là aussi sempiternellement, à invoquer le système : le mode de scrutin et la campagne de diabolisation dont le RN est l’objet de la part des médias officiels lorsque le terme de l’élection concernée approche. La pleurniche habituelle pour donner crédit auprès de ceux qui veulent encore y croire, que « la prochaine fois », le RN ne fera (re-refera) pas ces « erreurs-là », et que, du coup, promis-craché-juré : « la prochaine fois », ça sera la bonne. Je traduis. Malgré un mode de scrutin qui ne changera pas, et cette diabolisation du RN qui sera de nouveau effective, voire plus intense que les fois précédentes – Ô miracle ! le RN accédera au pouvoir lors de la prochaine élection.
Oui. Marine Le Pen a beau avoir renié son père politiquement, et avoir laissé la place, provisoirement, au beau, jeune, fringant et policé au possible Jordan Bardella, histoire de faire coller à l’air du temps (importance de l’image) cette collaboration collusoire à l’intérieur du système (assurance réélection du pouvoir en place du moment), l’idiosyncrasie des ténors du Rassemblement National sur ces points précis (soi-disant « erreurs », pleurniche et promesse que la prochaine fois sera la bonne), est exactement la même que celle des dirigeants du Front National de jadis.
Un parallèle est flagrant, Jordan Bardella est à Marine Le Pen, ce que Gabriel Attal est à Emmanuel Macron : un plus jeune qu’eux, policé, un faire-valoir permettant aux ainés d’incarner une plus grande maturité et sagesse quand les temps durs arrivent ! Comme au tennis, après les Nadal, Fédérer, Djokovic, il faut bien assurer la relève. A 21 ans, Carlos Alcaraz est venu détrôner le GOAT (Meilleur joueur de tous les temps) Djoko. D’ailleurs, la firme Nike ne s’y est pas trompée avec son slogan marketing créé pour l’occasion : « Don’t belong to an era, Start your own » « N’appartient pas à une ère, Commence la tienne ».
Et, oui, pour gouverner une France à la dérive, il paraissait illusoire et naïf de laisser un jeune de 29 ans prétendre endosser le rôle de premier ministre. C’est bien là, une différence fondamentale entre le sport et la politique. La valeur n’attend peut-être pas le nombre des années, cependant c’est quand même dans les vieux pots que l’on fait les meilleures soupes. Il est donc essentiel, en temps de crise plus encore, d’avoir des commandants de bord avec de l’expérience et de l’expertise, si bien sûr l’intérêt des français est réellement au cœur des préoccupations. Sinon bien sur ce n’est qu’une nouvelle version de la société du spectacle politique qui nous est offerte. Ils se partagent le gateau des rentes de situation, laissant les miettes aux citoyens et surtout la charge de la dette colossale aux enfants à naitre. Il semble qu’en politique, on préfère remettre à demain ce que l’on pourrait faire le jour même, dans une version adaptée au gout du jour d’une forme de « corruption électorale » où les votes sont achetés avec des promesses intenables.
Cette collaboration collusoire (avec Jordan Bardella) sera pleinement entérinée si, comme Marine Le Pen l’a clairement laissé entendre publiquement hier, c’est elle qui sera le candidat du RN pour l’élection présidentielle 2027, et non pas Jordan Bardella, à savoir en pleine et entière connaissance du fait que, s’étant déjà complètement sabordée dans cette entreprise lors des débats télévisés de l’entre-deux tours de 2017 et de 2022, sa candidature est autant rédhibitoire au succès du RN dans cette élection, que celle qu’un illettré ferait auprès de l’Académie française ou pour le prix Goncourt de littérature.
Alors la jeunesse oui, mais, comme au sport, pas trop vite quand même pour laisser encore une part du gâteau des grands chelems aux anciens ! Business is business. (Et un député rapporte beaucoup d’argent à son parti !).
1) cette accusation, fût-elle très discutable ou reposante uniquement sur une photo vieille de dix ans ou plus, prise durant l’adolescence de la personne concernée ou à une occasion privée et qui exclut de fait cette incrimination.
Xavier Azalbert, France-Soir