Menacées, les deux sœurs de la congrégation des Petites Filles de Marie ont été évacuées de Saint-Louis il y a presque deux semaines, juste avant l’incendie de leur maison.
Quelques jours plus tard, soeur Emmanuelle n’en revient toujours pas. Une scène digne d’un mauvais film d’action qu’elle aurait préféré ne pas vivre cette nuit-là, du dimanche 7 au lundi 8 juillet. Les véhicules des forces de l’ordre stationnent devant la maison des religieuses. Les éclairages percent l’obscurité. « Ils sont venus vers minuit, une heure du matin. Il y avait tout un convoi », retrace sœur Emmanuelle. Les deux membres des Petites Filles de Marie s’apprêtent à être évacuées de Saint-Louis.
« C’était impressionnant de voir les gendarmes, ça faisait boum dans ma poitrine », se souvient-elle, joignant le geste à la parole. Un départ précipité. « Il n’y avait rien de préparé, on est parti comme ça. » Avec « l’essentiel ». Carte d’identité, passeport, quelques vêtements. « C’est tout. Pour nous, on allait revenir. »
Sœur Christine les a recueillies vers 3 heures du matin à la maison de la congrégation à la Vallée-des-Colons à Nouméa. « Heureusement qu’elles sont arrivées avant l’incendie… », lâche la supérieure générale. Le lieu sera brûlé le lendemain. « C’est difficile à vivre parce qu’il y a toute leur vie là-bas, leurs affaires personnelles. » Des « rescapées », glisse sœur Emmanuelle, gardant son sourire et son regard pétillant.
Le drame affecte l’ensemble de la congrégation. « Toutes les sœurs ne sont pas bien. Même celles du Vanuatu. Il y a des pleurs au téléphone. » Il faudra sans doute du temps pour guérir. « Il y a de la colère quand même », témoigne soeur Christine, qui les accompagne. « J’utilise des choses simples, je les fais rire, on va transformer cette douleur amère en humour. » Et puis la foi, les familles leur font « garder espoir ». « On ne va pas se décourager. Il faut éviter de ressasser, voir les choses autrement et continuer à œuvrer pour le Seigneur. »
« CE N’EST PAS TOUT SAINT-LOUIS »
Les deux femmes étaient menacées depuis quelques jours par l’un des hommes armés qui occupaient le presbytère plus haut. « Il disait : “Vous n’êtes pas chez vous ici, donc partez”. Des papas de la tribu sont restés avec elles, ils leur ont conseillé de se cacher. Elles avaient peur », raconte sœur Christine.
Évitant les sorties, elles allaient juste au jardin, « mais pas trop longtemps, parce qu’à chaque fois, ils tirent, ils tirent… », rapporte sœur Emmanuelle, un brin d’incrédulité dans la voix, peinant encore à réaliser ce qu’il s’est passé.
Pourtant, les relations étaient bonnes avec les gens de la tribu, assure sœur Christine. « Certains font leur jardin à côté. En échange, ils passent la débroussailleuse, nettoient, entretiennent pour remercier. » Les Petites Filles de Marie refusent l’amalgame. « Il s’agit juste de quelques jeunes, ce n’est pas tout Saint-Louis. Les familles nous accueillent, nous rendent visite, on nous a apporté un panier de solidarité pendant les événements. Je suis sûre qu’ils vivent mal cette situation. »
« CREVER L’ABCÈS »
Les religieuses appellent désormais à un sursaut, à essayer de dépasser ces événements et à en traiter les causes. « Il faut chercher le nœud du problème, parler, crever l’abcès, oser dire ce qui ne va pas et pourquoi on en est arrivé là pour pouvoir pardonner et se libérer. C’est ce qu’on doit faire dans nos communautés respectives. »
Sœur Christine parle d’une jeunesse abandonnée. « Ces enfants sont les enfants du pays : les adultes, la société sont responsables. On les a laissés, oubliés. Il y a une perte de repères, ça éclate et ce sont les innocents qui subissent les conséquences. »
Pour avancer, les religieuses mettent en avant « la grande solidarité qui s’est manifestée ». De quoi garder confiance dans l’avenir et commencer à envisager l’après. Si ce n’est pas encore d’actualité, les sœurs comptent bien retourner à Saint-Louis. « On se prépare, on demandera la bénédiction de toute la population. »
Sœur Christine cherche aussi des réponses dans la prière. « J’ai demandé pardon à ceux qui ont créé la mission, aidez-nous à trouver le chemin pour aider les gens. » La seule voie possible ? Persévérer. « Vous allez vous relever, nous aussi on va se relever, et on va repartir ensemble. »
« TOUT EST PARTI EN FUMÉE »
Le prêtre Bill Herket, de la congrégation des pères maristes, qui logeait dans le presbytère et assurait les offices à l’église, a « tout perdu ».
Bill Herket n’est pas retourné à la mission depuis le 18 juin, date de son départ à Fidji pour une réunion des pères maristes. « Quand je suis parti, je ne pensais pas qu’ils passeraient la limite », raconte le prêtre, qui trouvait les lieux « calmes ». Même si « des jeunes venaient parfois faire les toupies », ils restaient plutôt « au bord de la route, en bas ».
Et puis, il y a eu le 13 mai et le début des émeutes. Bill Herket sent une évolution dans les rapports. « Cela m’est arrivé d’éprouver de la crainte en sortant, ce n’était plus la même réaction, la même façon de parler. Je me suis alors dit que cela allait être un peu plus compliqué. » D’autant que certains jeunes « sont armés ». « Même les chefs ne peuvent plus les contrôler. »
Depuis son retour, le 4 juillet, le religieux réside à la maison de la congrégation, à Nouméa. Les conditions ne lui permettent pas de se rendre sur place. « Les gendarmes m’ont appelé pour me dire qu’il ne fallait pas prendre le risque et attendre un peu. » Selon le procureur de la République, le presbytère était occupé de manière irrégulière par quatre hommes armés, dont Rock Victorin Wamytan, tué par un tir de riposte du GIGN mercredi 10 juillet.
Peu après, dans la nuit du jeudi au vendredi, le bâtiment était en proie aux flammes. « J’ai tout perdu, tout est parti en fumée. Ils ont saccagé les bureaux puis y ont mis le feu. » Affaires personnelles – vêtements, chaussures -, mais aussi archives administratives et patrimoniales – documents et photos -, l’homme de foi n’a plus rien.
Bill Herket, Vanuatais qui réside en Nouvelle-Calédonie depuis 11 ans, veut « garder le moral, rester positif ». Mais jusqu’à quand, interroge-t-il. « Si cela continue, comment peut-on réagir, quel sera l’avenir ? » Arrivé de Ouégoa, le prêtre a pris ses fonctions à Saint-Louis le 24 janvier. À défaut de pouvoir y aller, Bill Herket espère accéder « d’ici samedi » au Vallon-Dore et à Plum, où il s’occupe des chapelles Sainte-Thérèse et de celle des Américains, grâce au service de navettes, afin d’assurer les célébrations aux paroissiens, privés de messes ces dernières semaines. Et reprendre ainsi un semblant de vie normale.
INCENDIE DE L’ÉGLISE : « UNE VIOLENCE INCROYABLE ET INSENSÉE »
L’église de la mission a finalement subi le même sort que le presbytère et la maison des sœurs. L’édifice a brûlé mardi 16 juillet, en fin d’après-midi, après la réalisation des entretiens avec les sœurs et le prêtre Bill Herket. L’événement choque profondément les Calédoniens, suscitant de nombreuses réactions, dont celle de Monseigneur Michel-Marie Calvet.
L’archevêque de Nouméa invite les communautés chrétiennes à prier pour la paroisse de Saint-Louis, « qui se trouve privée de son église et de ses structures par une violence incroyable et insensée ». Mgr Calvet remercie les personnes qui ont veillé à la sécurité du personnel présent à la mission jusqu’à son exfiltration en urgence, et celles « qui ont essayé d’éviter cette catastrophe ». Enfin, l’homme d’Église appelle à prier « pour ceux qui ont ouvert le chemin à ce déferlement de rancœur et de haine ».
C’est tout un pan du patrimoine du pays qui disparaît, celui de la mission catholique, fondée par les pères maristes en 1860. Les religieux y ouvrent notamment une école pour les garçons, puis pour les filles à partir de 1864, gérée par sœur Marie Delacroix, fondatrice de la congrégation des Petites filles de Marie en 1875. L’église est bénie en 1868. Des aménagements y sont réalisés, scierie, usine sucrière, rhumerie, imprimerie, séminaire…
De 1942 à 1946, les Américains y installent un camp d’entraînement. Plusieurs ouvrages de la mission sont classés au titre des monuments historiques de la province Sud. L’église, le presbytère et l’ancienne maison des sœurs en faisaient partie. L’architecture, les matériaux et les techniques d’édification des bâtiments sont typiques des constructions réalisées par les pères bâtisseurs.
Une messe sera célébrée par Mgr Calvet vendredi 19 à 18 heures en l’église du Vœu.
Anne-Claire Pophillat
DNC.NC