Des chercheuses australiennes ont montré récemment dans un article scientifique que les femmes exposées aux vidéos de TikTok perdent de l’estime pour leur propre corps. Elles expliquent que les vidéos du mouvement pro-anorexie profitent particulièrement de l’algorithme de recommandation « Pour vous » de l’application.
TikTok est souvent critiqué à propos de la toxicité des contenus poussés par ses algorithmes. Les chercheuses de l’Université australienne de Charles Sturt Madison Blackburn et Rachel Hogg ont voulu étudier les conséquences d’une exposition aux vidéos du mouvement « pro-ana » (mouvement qui promeut des régimes extrêmes, l’exercice physique excessif et incite à s’imposer des troubles du comportement alimentaire) qui circulent allègrement sur le réseau social de ByteDance.
Leur article, publié début août dans la revue scientifique PLOS One, conclut à un effet réel des vidéos « pro-ana » sur l’estime des femmes pour leurs propres corps et l’internalisation des standards de beauté. Mais il constate aussi, dans une moindre mesure, que les femmes exposées aux autres vidéos publiées sur TikTok subissent aussi ces problèmes.
TikTok, un réseau où se développent plus facilement les contenus « pro-ana »
Le mouvement « pro-ana », qui s’est développé dans les années 2000, n’a pas eu besoin de l’existence de TikTok pour connaître un certain succès, mais la plateforme de vidéos est maintenant une de ses cibles particulières. « Contrairement à d’autres plateformes de médias sociaux qui présentent implicitement des idéaux corporels, TikTok contient des contenus explicites sur les troubles de l’alimentation », expliquent les chercheuses. Shannon Herrick, Laura Hallward et Lindsay Duncan, trois chercheuses canadiennes, faisaient déjà ce constat fin 2020.
Les chercheuses pointent une autre particularité de TikTok : la page « Pour Vous » est encore plus mise en avant sur l’application de ByteDance et elle met en avant des contenus de tout un chacun. « La page d’exploration d’Instagram continue de mettre l’accent sur la culture d’influence établie et de promouvoir les comptes de personnalités publiques ou d’influenceurs très suivis », expliquent-elles.
Mais elles ajoutent qu’ « à l’inverse, l’algorithme unique de TikTok rend la découverte de contenu équitable, car le contenu de n’importe quel utilisateur a le potentiel d’atteindre un vaste public, indépendamment du nombre de followers ou du statut de célébrité ». Ce qui permet à des comptes « pro-ana » d’influencer beaucoup d’utilisateurs sans être très suivis, même si la plateforme fait des efforts pour censurer les contenus de ce genre.
Exposées pendant 7 à 8 minutes
Elles ont étudié le comportement de 273 utilisatrices de TikTok âgées de 18 à 28 ans (principalement australiennes) réparties en deux : un groupe expérimental et un groupe témoin.
Les membres des deux groupes ont été exposées à un tunnel de vidéos TikTok de 7 à 8 minutes. Les femmes du groupe expérimental ont visionné une compilation de vidéos TikTok contenant des messages explicites sur les troubles de l’alimentation, tels que des jeunes femmes restreignant leur alimentation, faisant de l’humour sur leur comportement alimentaire désordonné, se privant de nourriture et donnant des conseils pour perdre du poids, comme manger des glaçons et mâcher du chewing-gum pour calmer la faim. Les membres du groupe témoin, elles, ont visionné des vidéos TikTok « normales ».
Un effet significatif, même pour le groupe témoin
Résultat, les femmes du groupe expérimental se sont déclarées nettement moins satisfaites de leur image corporelle après avoir été exposées au contenu TikTok pro-ana. Ces effets sont aussi visibles et statistiquement significatifs lorsqu’on compare ce ressenti à celui des femmes qui ont regardé le contenu de contrôle. Mais, comme le soulignent les chercheuses, « il est intéressant de noter que les femmes du groupe de contrôle ont également signalé une diminution statistiquement significative de leur satisfaction à l’égard de leur image corporelle après avoir regardé le contenu neutre de TikTok ».
Les chercheuses expliquent que, sur TikTok les vidéos sont généralement cadrées de manière à ce que le corps entier du sujet soit visible contrairement à ce qu’on voit sur Instagram, en particulier dans les vidéos de danse et dans les contenus #GymTok.
Elles font l’hypothèse que TikTok peut fournir plus de stimulus liés au corps « même lorsque l’intention du contenu n’est pas liée à l’image du corps ou à la #fitspiration (contenus liés au fitness). Elles ajoutent qu’ « il est important de noter que l’algorithme de TikTok fonctionne de telle manière que les personnes qui recherchent activement des contenus positifs pour le corps peuvent également être exposés à des contenus néfastes liés au corps, tels que le body checking, un type de contenu compétitif et d’autosurveillance dans lequel les utilisateurs sont encouragés à tester leur poids en essayant de boire dans un verre d’eau pendant que leur bras entoure la taille d’un autre utilisateur ».
Interrogée par le média PsyPost, Rachel Hogg a déclaré : « j’ai été surprise de constater que la « dose » de moins de 10 minutes de visionnage de contenus TikTok de comportements désordonnés était suffisante pour avoir un effet ».
La chercheuse explique aussi que l’étude excluait toute personne ayant reçu un diagnostic de trouble alimentaire passé ou présent, il ne faut donc pas en tenir compte pour tirer des conclusions sur des populations cliniques. Les autrices de l’étude sont aussi bien conscientes que leur travail n’a évalué que l’impact à court terme des vidéos TikTok en ne mesurant que les changements dans la perception par les femmes de leur corps et l’intériorisation des normes de beauté qu’immédiatement après le visionnage des vidéos.