Microsoft, BlackRock et MGX, fonds d’investissement adossé aux Émirats arabes unis, ont annoncé mardi le lancement d’une initiative commune, « GAIIP », destinée à financer les infrastructures informatiques et énergétiques dédiées à l’intelligence artificielle. Les trois partenaires prévoient de réunir 30 milliards de capitaux propres, pour mobiliser jusqu’à 100 milliards de dollars à destination de projets essentiellement localisés sur le sol américain.
Mardi, Microsoft et son compatriote BlackRock, premier gestionnaire d’actifs financiers au monde, ont annoncé le lancement d’une initiative conjointe avec GMX, l’un des fonds souverain des Émirats arabes. Les trois sociétés s’associent autour d’un nouveau véhicule financier dédié à l’investissement dans les centres de données, et dans l’ensemble des infrastructures nécessaires à leur fonctionnement.
Baptisé GAIIP, pour Global AI Infrastructure Investment Partnership, ce fonds, ouvert à de nouveaux partenaires, ambitionne d’atteindre rapidement une enveloppe de 30 milliards de dollars. Chacun des trois fondateurs y participe directement, dans des proportions qui n’ont pas été précisées.
30 milliards pour en mobiliser 100
Pourquoi un tel véhicule, alors que Microsoft et tous les grands acteurs du cloud ou de l’informatique investissent déjà lourdement en nom propre ? À plus forte raison quand il existe des fonds spécialisés tels que l’américain Global Infrastructure Partners (100 milliards de dollars d’encours), dont BlackRock bouclera bientôt l’acquisition ? « Les investissements nécessaires à l’infrastructure dédiée à l’IA et aux nouvelles sources d’énergie pour l’alimenter dépassent les moyens financiers d’une entreprise ou d’un gouvernement », répond Brad Smith, président de Microsoft, dans un communiqué conjoint.
Pour les trois partenaires, les 30 milliards de dollars visés par le fonds GAIIP permettront, avec le concours de la dette bancaire, des subventions et des investissements extérieurs, de mobiliser jusqu’à 100 milliards de dollars autour des sujets IA. Une manne dont la dimension stratégique et géopolitique est clairement assumée. « Ces investissements dans les infrastructures seront principalement réalisés aux États-Unis, alimentant l’innovation en matière d’IA et la croissance économique, et le reste sera investi dans les pays partenaires des États-Unis », indiquent les fondateurs.
S’ils sont fléchés sur le plan géographique, les investissements se veulent agnostiques sur le plan technologique, au service d’une « architecture ouverte et d’un large écosystème ». Si son nom n’est pas (encore ?) cité au rang des investisseurs, NVIDIA s’affiche par ailleurs, sans surprise, en soutien de la démarche.
Alors que le Chili s’inquiète des conséquences sur l’approvisionnement en eau d’un projet de centre de données porté par Google, et que la grogne monte dans certains États américains quant à la concurrence que font peser ces infrastructures sur l’alimentation électrique générale, les fondateurs du fonds GAIIP ne précisent pas leur stratégie en matière d’énergies, avançant simplement des investissements dans des projets « durables ».
Course à l’armement
Cette nouvelle initiative illustre les deux volets, financiers et géopolitiques, de la course à l’armement qui anime le marché des infrastructures informatiques. D’un côté, les investissements et les opérations de concentration se multiplient, aux États-Unis comme dans le reste du monde. Rien qu’en 2024, Microsoft a annoncé des enveloppes qui se comptent en milliards de dollars pour des projets de centres de données répartis dans une dizaine de pays à la surface du globe. Amazon, qui n’a de cesse d’étendre ses capacités aux États-Unis, vient de chiffrer à près de 10 milliards d’euros ses futurs projets au Royaume-Uni. Equinix, poids lourd de location, affiche quant à lui la bagatelle de 54 projets « majeurs » en cours de construction dans 24 pays différents.
Une frénésie qui ne concerne d’ailleurs pas que les acteurs américains. Iliad, maison mère de l’opérateur Free, a ainsi dévoilé au printemps dernier un plan d’investissement à hauteur de 2,5 milliards d’euros sur dix ans pour ses centres de données européens. « La mobilisation de capitaux privés pour construire l’infrastructure nécessaire à l’IA ouvrira une opportunité d’investissement à long terme de plusieurs milliers de milliards de dollars », veut croire Larry Fink, CEO de BlackRock.
Quelle force de frappe pour l’Europe ?
Si le rythme des investissements s’intensifie, c’est aussi parce que le contexte est particulièrement favorable aux soutiens étatiques. Aux États-Unis, où le Chips Act, loi en faveur de la souveraineté dans la production de semi-conducteurs, vient par exemple de jouer un rôle non négligeable dans les récentes orientations stratégiques du géant Intel, au détriment du propre Chips Act européen. La France cultive elle aussi soigneusement son attractivité en la matière, et n’hésite pas à mettre la main au porte-monnaie pour fédérer des projets d’infrastructures informatiques. En mai dernier, Microsoft a ainsi annoncé 4 milliards d’euros d’investissement « au service de l’intelligence artificielle » dans l’Hexagone, qui n’auraient pas été validés sans un geste de soutien significatif.
Dans ce contexte, de quelle force de frappe se dotera l’Europe ? La position en la matière de la Commission européenne, qui vient tout juste d’installer ses nouveaux commissaires, est particulièrement attendue. À plus forte raison quand le récent rapport Draghi sur l’avenir de la compétitivité européenne pointe du doigt le retard pris par le Vieux continent en matière de cloud, faute d’investissements suffisamment « massifs et continus ».