Contrairement à l’Hexagone où il ne reste officiellement plus qu’une seule cabine téléphonique opérationnelle dans l’est du pays, rien qu’à Tahiti il y a encore 500 publiphones tous en très bon état de marche mais qui ne servent plus à rien ! Depuis longtemps le smartphone leur a ravi la place dans le cœur des Polynésien(ne)s. Leur utilisation est une véritable énigme.
« Gaston y’a le téléphon qui son et y’a jamais person qui y répond ! » chantait le regretté Nino Ferrer en 1966. A cette époque, tout le monde ne jurait que par le combiné téléphonique car peu de gens en étaient équipés.
Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, qui pense encore à utiliser le téléphone fixe, voire appeler depuis une cabine téléphonique ? Le smartphone est tellement plus pratique et utile : un véritable assistant personnel utile pour téléphoner mais aussi gérer toute notre vie. De surcroît, il nous suit partout même dans l’eau. Sa mobilité et son potentiel ont donc eu raison des téléphones fixes, cabines téléphoniques ou autres publiphones, tout juste bons à passer des appels.
Alors qu’en France, une seule cabine téléphonique subsiste, ici elles sont légion sans que plus personne n’y prête attention. Des reliques d’un passé récent qui font toujours partie du paysage local et devenues invisibles tant leur usage s’est réduit à peau de chagrin. « Actuellement il reste 590 cabines », en Polynésie dont 500 (!) rien que sur l’île de Tahiti, affirme Hector Maiti, technicien expert en publiphonie à Onati, qui exerce dans le centre de maintenance de Mahina.
Un chiffre à peine croyable, mais pour quoi faire peut-on se demander légitimement. » Pour moi, ça ne sert à rien du tout ! », plaisante le technicien. D’aucuns diront pour le service public. « Pire que ça, c’est du service à perte, c’est pas du service public ! », rétorque goguenard Hector. Mieux vaut en rire.
Le technicien précise surtout qu’« on nous a dit de les maintenir, normalement on est censé les supprimer en 2025…mais vu le coût qu’il faudrait pour les retirer… » Environ 80 000 cfp par cabine. Sur un total de 590, cela ferait plus de 47 millions cfp ! On comprend pourquoi l’opérateur historique local hésite encore à le faire.
De plus en cas de démontage dans les différentes communes, « nous n’avons pas le droit de le faire tant que le maire ne le certifie par écrit », ajoute Beky Tuiaiho, responsable « voix » à Onati.
En attendant, que faire de tous ces publiphones, si ce n’est les entretenir et les maintenir en parfait état de marche ? C’est ainsi qu’une entreprise de nettoyage est mandatée pour nettoyer plusieurs fois par mois chacun des publiphones, en particulier depuis l’épidémie de covid afin de limiter les risques de contamination. En atteste le sticker de pointage collé sur chaque combiné. « 500 cfp par passage », et par cabine précise Béky. Sans oublier le coût de la maintenance interne des appareils quand une panne survient. Car oui, les publiphones peuvent tomber en panne même lorsque quasiment plus personne ne s’en sert !
Quasiment, car aujourd’hui dans 2 îles seulement le public génère encore un peu de trafic.Sur son ordinateur, Hector cherche alors les rares cabines qui ont un peu d’activité. Qui « trafiquent » dans le jargon. Etonnamment c’est au centre pénitentiaire d’Uturoa à Raiatea qu’il y a donc le plus de trafic…téléphonique ! Cela rapporte en ventes de cartes à code à gratter (oui, on en achète toujours), « 590 277 cfp par an, soit en moyenne 49 190 cfp par mois », détaille le technicien. Le meilleur résultat de toute la Polynésie.
Deuxième île en activité, Tematangi aux Tuamotu avec l’appareil installé dans l’abri de survie. « A un moment donné, il faisait partie des bons publiphones, il était comme la prison [de Uturoa], [il rapportait] dans les 75 000 cfp [mensuels]. A présent, 7 475 cfp par an, soit 623 cfp par mois ! « , se lamente Hector. La faute à l’installation d’un Vini spot, un relais wi-fi qui permet au public de téléphoner via des applications internet comme What’s app ou Messenger. Et depuis ces 3 derniers mois, plus aucune activité de ce publiphone. Il ne reprend du service que lorsque « le Vini spot est en panne », quand la connexion internet fait défaut. A ce moment, « il y a des pics sur la cabine ». Et généralement quand il y a du débit, « tous les jeunes s’agglutinent en dessous pour appeler. [Conséquence ] : trop de monde sur une connexion et ça ralentit », précise Béky.
A Tahiti, un publiphone a quand même été utilisé récemment, celui de l’hôpital de Taaone, début septembre. Depuis, plus rien. Décidément, y’a plus person(e) au téléphon(e)…
En regardant des photos prises il y a 10 ans, lors de la mise en place de publiphones dans certaines îles, Hector et Béky ont un pincement au cœur. « Un gâchis, c’est un matériel qui marche très bien et [plus] personne ne l’utilise ».
Normal, les usages ont depuis changé. « Cela fait plus de 5 ans et même plus qu’on n’en commande plus, qu’on ne déploie plus de cabines », constate Béky.
Dans l’enceinte du centre de maintenance de l’OPT à Mahina, il suffit de regarder l’état de deux vieilles cabines âgées de plus de 25 ans qui traînent sur le terrain. Les combinés téléphoniques ont depuis longtemps disparu, sans doute vandalisés alors que les cabines étaient encore en bon état. Et dans l’une d’elles, un arbre a même choisi d’y pousser ! Un abri temporaire qui devrait finir un jour ou l’autre à la casse.
Dans d’autres pays, elles auraient déjà eu une autre fin de vie. Par exemple en Angleterre, les célèbres red telephone box forment « un mobilier urbain mondialement connu et reconnu, la caractéristique emblématique de Londres et du Royaume-Uni », relate Wikipédia. Vendues aux enchères car de moins en moins utilisées, elles sont transformées en espaces utiles comme des petites bibliothèques, des épiceries, salons de thé ou comme emplacement de défibrilateur. Du neuf avec du vieux, à l’utilité avérée.
Ailleurs, les cabines téléphoniques ont de l’avenir, ici elles sont maintenues artificiellement en vie. « Pour le service public, il faut garder au moins une cabine par commune », avance Béky. Certes mais la Polynésie compte à peine 48 communes pour 590 publiphones, dont un sur l’île privée de Nukutepipi destiné aux employés de l’hôtel puisque le réseau Vini ne passe pas.
« Cela fait plus de 15 ans qu’on demande à les démonter, ça ne sert à rien de les laisser. Mais on n’a jamais eu l’accord de nos directeurs généraux », déplore Béky. Ajouté à cela l’autorisation des maires, le coût du démontage et aussi la crainte de perdre un emplacement de choix, ce qui explique peut-être cette réticence.
Car après un démontage de cabine, ce qui peut arriver suite à un acte de vandalisme, ou après un accident quand un véhicule la percute, « l’emplacement n’est pas perdu…on veut voir avec la commune si on peut la remplacer par un Vini spot. Si on enlève tout, on ne pourra pas demander à la mairie de recreuser à nouveau », remarque Béky. Et le responsable technique d’Onati de préciser qu’« en France, partout où il y a [eu] des sites avec des cabines, ils [Orange l’opérateur historique] ont installé des bornes wi-fi ». Ici, le potentiel est donc énorme. Rien se perd, tout se transforme, dit-on.
Marianne en sait quelque chose. La semaine dernière, cette dame s’est rendue au tribunal de Papeete. En sortant, elle s’est arrêtée au niveau de l’unique publiphone qui trône encore devant l’enceinte. Pour téléphoner ? Pas du tout, car comme tout le monde elle possède un smartphone. « Pour moi, c’est pour s’abriter un peu, se reposer un peu, et pour poser les documents quand tu n’as pas de table autour de toi ! », lâche-t-elle franchement. Eh oui, le publiphone peut encore servir à ça !
Qu’il est donc loin le temps où elle l’utilisait pour téléphoner, « dans les années 2010-2011, j’allais chercher la carte [OPT card] à la Poste et je composais les numéros inscrits dessus », se souvient-elle. Une époque révolue parce que depuis l’avènement et l’essor du smartphone, comme beaucoup, elle a fini elle aussi par raccrocher.
Outre-mer la 1ère – nouvelle calédonie
Source la1ere.francetvinfo.fr