Dans un communiqué de presse publié le 19 juin 2024, le groupe Vivendi s’engageait à « protéger et authentifier les contenus produits par ses métiers ». Comment ? Grâce à l’une des technologies phares du web 3.0 : la blockchain. Quèsaco ?
Ce n’est un secret pour personne, l’empire Vivendi détenu par la famille Bolloré se fait de plus en plus important chaque année. Pêle-mêle, le groupe de la « creation unlimited » se fait aujourd’hui fort de Lagardère, Havas, Prisma Média, Canal+, Gameloft, Dailymotion, Hachette, ou encore l’originalement nommé Vivendi Village. Films et séries, publicités, jeux vidéos, livres et journaux, toutes ces filiales produisent une montagne de contenu chaque jour, et il faut les protéger.
Pas de maillon faible
C’est ici qu’entre en jeu ladite blockchain. Eldorado pour certains, concept singulièrement sibyllin pour d’autres, elle est labyrinthique par nature et c’est ce qui la rend si précieuse.
Cette chaîne de blocs, en français, est une nouvelle manière de structurer des données. Ah, les données ! Une méthode de rangement numérique particulièrement sophistiquée, qui permet à n’importe quelle transaction de se faire sans le moindre risque. Voilà ce qui fait d’elle une promesse de confiance, une espèce de pont entre les particuliers, les entreprises et les pouvoirs publics.
Concrètement, la blockchain est une énorme base de données décentralisée (à plusieurs serveurs) et partagée par l’ensemble de ses utilisateurs. Elle a la particularité de sauvegarder tel quel tout ce qui s’y produit, en de multiples exemplaires. De cette façon, l’historique des échanges demeure intact et infalsifiable. Il est consultable par les parties prenantes, elles-mêmes anonymisées grâce à la cryptographie, et constamment (re)vérifié pour assurer que chaque ajout de bloc est « honnête ».
Comme on peut le lire sur le site du gouvernement, le mathématicien Jean-Paul Delahaye donne l’image d’un « très grand cahier, que tout le monde peut lire librement et gratuitement, sur lequel tout le monde peut écrire, mais qui est impossible à effacer et indestructible ».
Rapidité des transactions, sécurité du système et gains de productivité, cette technologie a d’abord servi le développement du Bitcoin, avant de faire bien des émules et de s’insérer plus largement dans la banque, le notariat ou encore le commerce. Vivendi se penche là-dessus pour protéger et authentifier son contenu.
Transparence, sécurité et authenticité
Fabien Aufrechter, Directeur Web 3.0 de Vivendi, a indiqué : « L’intelligence artificielle générative est un moteur de la transformation et d’accélération pour les industries créatives. Mais sans dispositif d’authentification des contenus numériques, les risques générés par cette technologie ne peuvent pas être négligés. C’est pourquoi nous nous engageons dans un chantier de protection de tous les contenus que nous produisons, avec l’objectif d’entraîner tous les créateurs de contenus numériques dans notre sillage », peut-on lire dans le communiqué du groupe.
Faut-il comprendre qu’avant d’utiliser joyeusement l’intelligence artificielle, il faudrait assurer l’authenticité de ses contenus, leur origine, leur fabrication ? Paradoxal, dites-vous ? Soit. La question, c’est peut-être de savoir qui aura la plus grosse… intelligence artificielle, et comment il sera possible de protéger sa production.
Vivendi, dans sa quête de transparence et d’authenticité, a ainsi rejoint la Coalition for Content Provenance and Authenticity (C2PA). Ce groupement international compte parmi ses membres Adobe, BBC, Google, Intel, Microsoft, Publicis, OpenAI, Sony et TruePic. Le dénominateur commun ? Le progrès, bien sûr. Donc, l’inévitable intelligence artificielle, que chacun essaiera de développer et d’utiliser au mieux. Comme dans n’importe quel jeu, course ou guerre, il y a (souvent) des règles. Tout le monde signe, certains les respectent.
L’idée de l’entreprise, selon les termes de Vivendi, serait de « proposer des solutions techniques en accès libre (open source) permettant de lutter contre la désinformation, la fraude en ligne et le piratage des créations, en certifiant de manière non falsifiable, via la blockchain, l’origine et le parcours des contenus numériques. » Belle activité, beau projet, comme dirait l’humoriste Edgar-Yves.
Un nouveau monde enchaîné ?
La question, c’est de savoir ce que chacun va pouvoir tirer de cette technologie, une fois qu’elle sera mise en place çà et là. A priori, les créateurs de contenu que sont les géants précités pourront sans mal retracer l’origine de leurs produits, et donc en faire certifier la valeur, la rareté, la propriété. Entre eux, il s’agira donc de rafler la plus grosse part du gâteau dans les règles de l’art.
Côté particulier, s’il est utopique de penser que la blockchain pourra totalement supprimer les intermédiaires indésirables, il se pourrait qu’elle permettent en revanche de leur « faire confiance », puisque tout le monde devrait jouer avec les mêmes règles. Théoriquement, si les productions de Vivendi sont accessibles uniquement via le parcours du combattant de la blockchain, les données de l’acquéreur le seront aussi. Idem pour Adobe, Google, OpenAI et consorts. Peut-être même qu’un réseau tel que FranceConnect, par exemple, qui a pour objectif de certifier notre identité sur divers support et pour divers plateformes, pourra fonctionner sans que ladite identité de chacun soit accessible en long en large et en travers par le gouvernement.
Comme l’expliquait Claire Balva, co-fondatrice de Blockchain France, lors d’un TedTalk présenté en 2017, « […] de très nombreuses grandes entreprises s’intéressent beaucoup à la blockchain, parce qu’elles y voient à la fois une menace et une opportunité. » D’un côté, elle pourrait tout bonnement les écarter en permettant aux particuliers de s’arranger entre eux (l’exemple du Bitcoin) ; de l’autre, elle pourrait leur permettre de regagner la confiance de leurs pairs, et de leurs clients. Reste à savoir si chacun voudra bien jouer le jeu.
Axel Messaire, pour France-Soir